Certains naissent dans les choux, d’autres dans des fûts de bourbon. La cigogne du petit Lemmy Kilmister n’est jamais arrivée à destination. Diagnostic: les oiseaux échassiers ne supportent pas les alcools forts. Née quelque part dans les cendres du rock flamboyant de Little Richard et de la violence urbaine des MC5, la musique de Motörhead a été le fer de lance du trash métal. Son leader, élevé à l’ancienne conjointement par sa mère et sa grand-mère, a la carapace d’un barbare moderne où bat un coeur sensible mais barricadé. Ce documentaire de Gregg Olliver et Wes Orshoski retrace le portrait de Monsieur Lemmy, un mec hors normes pour lequel la vie ne tient qu’à un fil: celui de son groupe, Motörhead.
Outre la prouesse scientifique hors du commun qui mérite d’être soulignée, on ne peut s’empêcher de penser que Lemmy est un chanceux (il le reconnait lui même), une sorte d’exception qui confirme la règle assassine du régime « sex, drogues et rock’n’roll ». Refusant toute sacralisation en icône ou parrain du heavy-métal, celui qui ne voit rien d’autre que du pur rock’n’roll dans la vingtaine d’albums de Motörhead n’est ni plus ni moins qu’un modèle artistique pour beaucoup. Dave Grohl (ex Nirvana, Foo fighters), Slash (ex Guns’n’roses), James Hetfield (Metallica) ou Ozzy « Prince of Darkness » Osbourne reconnaissent en lui un vrai rebelle, un putain de taré, un concentré de rock, l’énergie d’une bête avec la puissance d’un marteau. Le titubage? Connaît pas… lui qui sert des bouteilles de Jack Daniel’s comme des bières à ses convives intimidés: « buvez, ceci est mon sang ». Dans son fief « Rainbow », sorte d’abreuvoir à bikers, LE bar rock de L.A., Lemmy passe des journées entière devant sa machine à sous et un whisky-coca: suffisant à son bonheur, selon lui. Le reste du temps, Lemmy fait du rock avec son coeur, en honnête bandit manchot et tape des boeufs-studios avec ses potes quand il n’est pas invité sur les tournées de groupes à sa botte (The Damned, Metallica…). Dans un style à la fois unique et indescriptible, du fan de « headbanging » à son boots maker personnel, le frontman de Motörhead se fout qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas: il est Lemmy Kilmister, l’homme à la voix rauque qui chante comme si il avait bouffé des clous.
Malgré tout, Los Angeles ne pourra jamais en faire « son » rocker, tant ce british reste accroché à ses racines et sa culture anglaise qui passe bien évidemment par les Beatles, qu’il propulse au rang de « meilleur groupe du monde ». Né sous la bonne étoile des rockstar, il a marqué des points d’entrée dans le monde du rock: ex-roadie et dealer occasionnel de Hendrix, il avait fait ses gammes au sein de Hawkind, groupe psychédélique oublié mais à redécouvrir. Ensuite, il proposa une musique rapide, extrême et désinvolte avec en point de mire une trilogie « Overkill-Bomber-Ace of spades » d’albums indispensable à tout beugleur débutant. Quelques anecdotes se sont glissées dans ce film biographique, notamment celle où l’on découvre plus intimement Lemmy en historien connaisseur et collectionneur d’objets tranchants rescapés des deux guerres mondiales, balayant au passage les polémiques futiles sur son appartenance au mouvement nazi. La minute d’émotion atteint un degré touchant et adorable quand Lemmy père avoue à son fils qu’il est ce qu’il a de plus cher, en blaguant à demi-larmes sur leurs retrouvailles surprises 3o ans plus tôt.
A tous ceux qui enterraient le groupe à ses débuts, la carrière de Motörhead agit comme un raclement de gorge qui expulse le glaire des mauvaises langues. Avec son train de vie d’enfer, Lemmy est arrivé au sommet et comme il le dit si bien, il est désormais trop vieux pour rejoindre Dieu. Son secret de survie? Ne pas mourir. Toujours plus fier de voir passer les années et d’y avoir survécu, Lemmy n’acceptera jamais de mettre fin à son rêve de gosse. En dernière scène simple mais évocatrice, ce héros, qui a quand même du mal à cacher les traces d’une existence éprouvante, nous avoue dans un ultime grognement que la vie est trop courte, son seul regret. Nombreux sont ceux qui ont accepté de se faire détruire les tympans au son de sa basse Rickenbacker, l’équipe de tournage s’est sûrement auto-condamné à une greffe du foie, mais Lemmy ne force ni sa voix, ni son talent: il force juste le respect.
Dans 1000 ans, l’homo sapiens sera has-been. Le Lemmy, une race résistante et rock’n’roll l’aura supplanté, à condition que le Formol ne vire pas au cocktail…
Film à paraître le 20 janvier, extrait à voir ici: Lemmy, bande annonce
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