Hallyday ne sera jamais seul. A 67 ans, l’ex-idole des jeunes remplit des stades toujours plus grands. Il ne braille pas à moins de 50 000 personnes. Il est vrai que pour une jeunesse qui préfère assumer le fluo plutôt que des santiagues dorées, un nouveau disque de Johnny passe au mieux pour une bonne blague, au pire on s’en fout. Mais cette fois-ci, tout semble différent et Jean-Philippe Smet nous rappelle à l’ordre: ne jamais enterrer un cow-boy fatigué.
Cela fait vingt ans que Johnny se goure. Et pourtant, le roi de France en a vu défiler des grenouilles à ses pieds, des prête-plume de luxe multiplicateurs de recettes: Maé, Zazie, De Palmas, Goldman, Obispo… Autant d’artistes « bankable » d’un jour mais qui, contrairement à lui, auront au final de la peine à vieillir artistiquement parlant. Inutile de le faire cracher, le vieux emportera son secret dans la tombe. Mieux: il s’en esclaffera avec Lucifer Hendrix et Belzébuth Presley en soufflant sur les braises. Mais depuis trop longtemps, Hallyday cumule les disques sans intérêt, plus faciles à oublier qu’à écouter. Cette fois, celui qui était aux portes de la mort il y a quelques mois a choisi le calibre idéal; plus qu’une collaboration, l’album est une fusion avec la jeunesse et le talent de mecs qui osent: Mathieu Chédid et Yodelice (Maxim Nucci). Si l’un porte des plumes sur la tête et paraît meilleur en compositeur qu’en frontman, question de fraîcheur et de spontanéité (M), l’autre a conquis son monde en changeant de personnalité artistique pour virer folk mélancolique et en se tatouant rien qu’une larme au coin de l’oeil (Yodelice).
Mathieu Chedid n’a pas réfléchi longtemps. Quand la plus grande star du rock’n’roll français t’invite à composer pour lui, tu acceptes. Le tout, c’est de ne pas flinguer ton image au risque de passer des fêtes « d’enfoiré opportuniste » main dans la main avec Timsit ou Mimi Mathy. Pas de risque, « M » a plutôt la tête sur les épaules. Avec son pote Yodelice, ils ont eu quartier libre: des mélodies aux paroles, « Jamais seul » balance une cure de jouvence à Hallyday. Il y pose sa voix comme jamais et on a sincèrement l’impression qu’il chante mieux qu’avant: le mal pour un bien d’une hernie mal placée et mal soignée? En aval d’une carrière riche de quarante-sept albums studios, Hallyday rend une fois de plus hommage à ceux qui le réduise au rang de simple fan. On sent dès « Paul & Mick » que l’indécision chahute Johnny. Qui choisir? Jagger ou Mac Cartney? Deux types supersoniques devant lesquels personne n’aurait honte de s’agenouiller. En enchaînant sur « Guitar Hero », celui qui introduisit Hendrix en Europe le salue avec respect, rage et envie: « j’ai beau toucher du bois, je n’aurais jamais tes doigts ». Tout est dit. Et M commence à faire des miracles, sa six cordes affûtée en mode bluesy 60’s. C’est au premier refrain de « Dandy » qu’Hallyday lance véritablement l’album. La collaboration atteint là son apogée, l’écart de génération se laisse fondre dans un tonnerre rythmique et Johnny balance des vers comme lui seul sait le faire: « c’est pas moi qui rajeunis, ce sont les enfants qui ont vieilli, ma beauté vaut cent ladies… ». A la botte du roi de la ballade, il n’en fallait pas plus à Yodelice pour proposer à Hallyday chaussures à son pied. « Jamais seul » et « La douceur de vivre » écartent l’hypothèse d’un monde sans Johnny, immortel et résistant, incorrigible, critiqué à plus d’un titre mais toujours debout quand les autres tombent. Habitué à réadapter des tubes venus d’Amérique, il revisite à la sauce psychédélique un titre récent de M écrit par Brigitte Fontaine (« Tanagra »), défi impulsif dans lequel on le sent à l’aise malgré la difficulté. Le rock souffle encore, son ambassadeur pantèle davantage et « J’inspire » voit l’artiste habité par un rythme chamanique, avant que « Elle a mis de l’eau » et « Jalousie » (composée par Gush, révélation du rock français) clôturent ce qui passe non pas pour une renaissance mais une interaction réussie et magique. Après moult vrais-faux retours et retraites, Johnny Hallyday a trouvé des partenaires idéals, la combinaison parfaite pour mettre en valeur son timbre unique qui vieillit comme un grand cru. Revenue à son premier amour (le blues), sa carrière est certes derrière lui mais il a encore le droit de nous surprendre et de convaincre les derniers réticents sur son statut de Patron.
Disponible en CD, CD+DVD, Vinyl et coffret collector numéroté: Johnny Hallyday, « Jamais seul »
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