Appelons un chat un chat. Thiéfaine est un poète. Un artificier des mots doublé d’un vrai rebelle. Qui n’a jamais transpiré de pulsions pyromanesques à l’écoute de sa trilogie punko-initiatrice « Dernières balises avant mutation » (1981), « Soleil cherche futur » (1982) et « Alambic/Sortie sud » (1984)? Trois albums qui versaient dans le prêche opiniâtre et apocalyptique comme une cuillerée de cyanure dans la soupelette à mamie. Alors que l’industrie musicale se casse la gueule, la faute à de mauvais choix, qu’on a même envoyé au front trois prêtres dégarnis et un gros hawaïen mis en bière depuis dix ans en hypothétiques sauveurs de la musique, voilà qu’une vraie âme de rebelle refait surface. A l’heure de son seizième album studio, lancé sur une dynamique plus introspective et moins brûlante, plus intime et convaincante depuis « la tentation du bonheur » (1996), Hubert-Félix continue de purger sa nostalgie avec la plume d’un mec qui a su bien vieillir. Réputé pour sa capacité à remplir des Bercy sans l’appui des médias qui lui ont toujours préféré un certain peroxydé tenace (mais plus trop loquace) à bandana (Renaud), même si l’éternel rêve humain a le charme un peu rance, Thiéfaine jouit aujourd’hui d’une légitimité sans faille qui confirme chacune des ses sorties comme un évènement.
Six ans après le très réussi « Scandale mélancolique » et son clin d’oeil rugueux et solidaire à Bertrand Cantat (« Telegramme 2003 »), trois ans après sa collaboration avec Paul Personne (« Amicalement blues »), Thiéfaine nous avoue que ce « Supplément de mensonges » est né sur les cendres d’un projet avorté censé s’appeler « Itinéraire d’un naufragé » et englouti dans un burn-out de lassitude et de mélancolie qui le fit disparaître quelques mois. Aidé par sa clique habituelle ainsi qu’Armand Méliès (dernier accompagnant textuel du grand Bashung), Hubert-Félix laisse place à la sérénité, une harmonie intérieure retrouvée mais qui laisse tout de même entrevoir l’angoisse et les tourments de la vie. A la manière d’un Iggy Pop, torse nu devant l’objectif, Thiéfaine chante son spleen et ces trucs qui ne changeront pas, les souvenirs indéfectibles d’une jeunesse qui n’a d’éternel que le regret qu’on lui porte (« Ruelle des morts ») et le désenchantement d’un mec rêveur tiraillé entre la beauté d’un jeune âge révolu ou le temps que l’on passe à décatir (« Petit matin 4.10 heure d’été »). Avec son accord, on devine un des textes rescapé de cette ébauche stérile qui faillit le submerger: le douloureux et sensible « Infinitives voiles », poignant reflet intime d’une enfance bâclée. Ne lâchant pas ces rythmiques incandescentes typiques de la nouvelle vague punk-rock qui ont fait le succès de Thiéfaine, « Garbo XW machine » et le comique « Ta vamp orchidoclaste » révèlent le côté humain et malhabile d’un homme en proie aux doutes et aux maladresses. Enfin, « Lobotomie sporting club », énième chanson au titre à rallonge qui ne fait peur à personne mis à part aux frileux de la planète « variétoche » et des shows climatisés, renvoie à un riff bien connu, celui de l’inoubliable « Narcisse 81 » trente ans plus tôt. Ce seizième du nom est une merveille et on avoue sans hésiter que si Thiéfaine avait une saloperie qui lui ronge les poumons et qu’il se présentait aux portes du paradis, on lui dirait que ce « Suppléments de mensonge » est bel et bien son « Bleu pétrole ».
Laisser un commentaire