Tour à tour plombier, charpentier, intérimaire de la démerde, Calvin Russell a cultivé toute sa vie un goût prononcé pour les « bonnes » choses. Quand ça n’a pas été la marijuana, ce furent les hectolitres prohibés qui le conduisirent derrière les barreaux. Des trous à rats du Mexique au pénitenciers coupe-gorge du Texas ou de Californie, Russell a eu le temps d’y voir plus ou moins clair, de gratter à s’en faire saigner les doigts, de composer avec conviction, d’étaler de l’hémoglobine en Mi Mineur. Russell n’était pas un génie, Russell n’a jamais été un guitar hero. Il était juste un artiste sincère, attachant et écorché, un déserteur capable de vous fusiller d’un seul coup d’oeil, un bluesman à la gueule burinée et expressive, au visage témoin d’une existence marginale. Au jeu du duel, on lui la fait pas au texan, la maladie a certes emporté sa carcasse mais les vautours n’auront pas l’héritage musical frissonnant qu’il laisse derrière lui.
Difficile de se faire une place au soleil, en musique comme dans une société où les farouches à plumes ne sont guère les bienvenus – l’artiste a toujours revendiqué ses origines Comanche – Calvin Russell n’aura jamais connu le succès sur ses terres natales. Presque ignoré aux Etats-Unis, celui qui fut découvert par le patron du label français New Rose à l’âge de quarante ans dans la moiteur d’une gargote sudiste va publier quelques classiques blues-rock, mettant ainsi l’Europe à ses pieds. Le trou est fait. Le sourire en coin, ne sachant que parler en blues, Calvin balance de la pentatonique à outrance: son langage, sa vie, Calvin a toujours été honnête, audacieux et humaniste, flinguant tour à tour la religion, les guerres inutiles et les mentalités puantes.
La meilleure façon de partir, c’est ce live « Contrabendo » enregistré à la Cigale en 2007, deux ans avant la méforme aperçue sur « Dawg eat dawg » (2009) montrant un Russell abîmé et inquiétant, la gueule enfarinée et les santiags en python de rigueur. « I wanna change the world before it changes me… », trop tard, mister crabe rouge a fait son sale boulot en s’attaquant au foie de celui qui avait l’habitude de descendre une bouteille de Jack’s à chaque concert, sans dériver de l’oeil ni même flageoler des guiboles, aussi rachitiques soient elles. Enregistré en compagnie de Paul Personne, ce concert sonne rauque et brumeux, une sorte d’adieu avant l’heure. Du poignant « Soldier », son chef d’oeuvre qui vient des tripes, au troublant « Crossroads », en bifurquant sur les récents « Free in freedom » et « When you smile » – véritable coup de foudre bluesy tendance Neil Young – tout le gratin de son répertoire y passe et grille dans un fumet chargé d’électricité.
Calvin Russell n’aura finalement pas changé le monde, mais il laisse une trainée de poussière tenace, un nuage de regrets éternels à ceux qui ne gouteront jamais à ses prestations sincères et parlantes. En rendant son âme mais pas ses armes, Calvin Russell n’aura pas à bomber le torse, on le respecte déjà dans l’au-delà…
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