Grand Lièvre. Ce titre n’a rien d’anodin. L’espèce protégée aux grandes oreilles disparaît peu à peu du paysage campagnard pendant que les artistes de la trempe de Jean-Louis Murat ne se comptent plus que sur le bout des battoirs. S’attaquer à n’importe quel disque de Murat relève de l’exercice de style. A contre-courant de l’obédience d’une variété virant de plus en plus dangereusement au folklore pathétique, l’auvergnat avance d’une manière toujours plus solitaire. A mesure que sa carrière s’enrichit, on se demande où cet immense puzzle dérisoire de la condition humaine commencé il y a trente ans se finira. En une vingtaine d’albums, Murat aura transformé, à la force des mots et d’un talent littéraire hors normes, l’amour, la solitude, l’intimité ou le doute: tout ce qu’il y a de plus humain, en soit. Les plus pragmatiques trouveront inutile et suicidaire de se donner autant de peine. Ce terme « utilité » n’a pas sa place dans la poésie du haut arverne qui revendique(ra) ad vitam eternam son désir de se différencier de cette société aussi exaspérante que ce qu’on lui offre en masse.
Alors, quand arrive en ce début d’automne un « Grand lièvre » à la démarche tortuesque – Jean-Louis Murat a inhabituellement mis deux longues années à sortir ce successeur du « Cours ordinaire des choses » – on a cru à un énième signe de la décrépitude du marché. Qu’importe, dans dix chansons on sera sûr d’une chose: on tient le disque de l’année par les deux oreilles. Sur son précédent album, Murat nous emmenait à Nashville, où une ribambelle de foutus bons musiciens donnaient le « la » à son timbre toujours plus ambivalent – qui peut se vanter d’allier nonchalance et envoutement aussi bien?. Pour « Grand lièvre », l’artiste a décidé d’enregistrer en France, accompagné de ses fidèles (notamment l’excellent Fred Jimenez à la basse). La distance n’a que peu d’importance lorsque la qualité est au rendez-vous. Murat s’attaque une fois encore aux épisodes de la vie. Une vie sanglante (« Sans pitié pour le cheval »), rurale et terroir (« Vendre les prés »), une vie d’ennui (« Je voudrais me perdre de vue ») à laquelle seule sa musique daigne donner un sens. Comme d’habitude on y trouve un lot de perles poétiques et mélodiques (« Qu’est ce que ça veut dire? », « Haut Arverne », « La lettre de la pampa ») qui surprennent cette fois par l’introduction de choeurs (la chrétienté passagère de Dylan plane) et de prises de risques vocales non coutumières de l’ami vulcain. Murat chante la terre et la nature humaine, éléments que l’homme a oublié au profit néfaste d’une vie artificielle gavée de paradis imaginaires.
Le deuxième disque qui accompagne « Grand lièvre » est un symbole fort. Huit titres sélectionnés lors de son passage à la Coopérative de Mai l’an passé (pas un hasard, cette salle mythique de Clermont-Ferrand renfermera les élans muratiens à jamais, on en est sûr désormais) et qui soutiennent la thèse sacrée du Murat en live. Jean-Louis n’a pas de classiques, mais un répertoire qu’il revisite sans cesse, agrémenté d’inédits (« Yes Sir » et « Pauline à cheval ») et de modèles d’intimité (« L’examen de minuit » n’a jamais paru aussi beau qu’en ce soir d’avril 2010). Avec le recul, cet instantané live est peut-être le plus beau cadeau offert par Jean-Louis Murat ces dix dernières années.
Si René Goscinny avait su, il aurait rajouté un chapitre musical à son fameux « Astérix et le bouclier Arverne ». En mesurant aujourd’hui l’apport inestimable de Murat, sûr qu’il regretterai. L’auvergnat indomptable, même s’il finit un jour seul sur son chemin, ne vendra ni ses prés ni son âme. Après tout, chanter est sa façon d’errer….
Disponible en édition double cd (Universal Music)
Gyslain Lancement
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