Après nous avoir offert un des plus beaux disques de l’année 2009 (« Sometimes i wish we were an eagle »), Bill Callahan continue sur sa lancée déchirante et énigmatique. Solitaire, figure de proue du mouvement « lo-fi » qui prônait un rock au son primitif éloigné volontairement de l’aseptisation générale, l’ex-leader de Smog ne cherche pas forcément le succès, mais plutôt la reconnaissance, la gratitude d’un travail autarcique qui en fait un artiste quasi-unique dans monde où Vic Chesnutt n’existe plus. En compagnie d’autres groupes résolument impopulaires comme Silver Jews, Pavement ou le taré fantastique Daniel Johnston, Smog a toutefois écrit une page grasse du rock des 90’s, en dépit d’une starification outrancière de modes gangréneuses comme la dance ou la boys-band mania. Foutue mémoire, on retient trop souvent la mauvaise graine. 2011, Callahan dégaine à nouveau sa géniale faculté de songwriting et écrit quasiment son propre hommage fait d’intrigue et d’ambiances songeuses. Des paroles dérangées, un langage écorché et une voix suintant la désinvolture d’un Lou Reed et la classe dramatico-glaciale d’un Léonard Cohen font de chacun des albums de Bill Callahan un torrent de désespoir mélodique. Ou quand la beauté de l’orchestre flirte avec l’éraflure du texte.
Avis aux costauds, aux durs, aux rationnels radicaux des sentiments, cet « Apocalypse » et ses sept titres vont vous transpercer de toutes parts. En longue scie édentée, mélancolique et rouillée, la musique de Callahan fait craquer puis tomber les grands feuillus. Les violons grinçants et la rythmique folk foreuse de « Dover » ne laisse entrevoir que peu de gaieté, avec pour seul écho une réverbe sombre, menaçante et cafardeuse. Pour Callahan, bûcheron délicat et imperturbable, les compositions sont aussi faites d’une simplicité exemplaire, inspirées par les choses les plus simples de l’existence (« Baby’s breath »), brocardant parfois sa patrie en mode noisy (« America! »), cherchant à conjurer, confesser ou partager ses pensées enivrantes (« Riding for the feelin' »). Il y a deux ans, Bill nous avait déjà fait le coup du disque épatant et naturel comme un lever du jour. « One fine morning » ne ressemble à rien d’autre qu’à un ballet du coeur, une apocalypse en douceur, un défilement poétique de la grande peur. Une fois de plus, Callahan inspecte les méandres des sentiments et va chercher ce petit quelque chose oublié trop souvent dans la neutralité mercatique et musicale actuelle, et qui, de ce fait, devient une denrée rare en musique: l’émotion. Tout est beau dans cet album qui, d’une certaine manière, donne un aspect jovial à la tristesse.
Disponible en CD et Vinyl: Bill Callahan, « Apocalypse »
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