Si on était dans les années 70, les albums rapprochés de Ben Harper seraient à chaque fois un évènement. Seulement, à l’heure des échanges numériques et du trop plein de disques durs aussi gavés qu’anorexiques, on s’est un peu lassé de celui qui passait il y a un peu plus de dix ans pour le Saint patron de la musique. La fraîcheur et la surprise de son récent projet « anti-supergroupe » (Fistful of mercy) avaient presque éclipsé la « star » discrète. Ce fondu (volontaire?) dans l’ombre mettait en exergue ses amitiés musicalement intéressantes et utiles avec la descendance Beatles Dhani Harrison (fils de) et l’ancien protégé de Lou Reed, Joseph Arthur. Jouissant d’une côte d’amour immuable qui lui colle à la peau partout où il passe, faisant par là même le bonheur des festivaliers et des chasseurs de tête d’affiche, Ben Harper mise sur l’enthousiasme pour présenter son (déjà) onzième album. Ayant grandi au milieu d’une boutique familiale d’instruments qui voyaient s’entendre tout ce que compte la société d’énergumènes, du poète au penseur peu conventionnel, de l’anarchiste au démocrate, du hippie au communiste, cet adorateur d’Obama a réussi à coller l’art à sa personnalité, comme la grande bleue colle le corail à ses rochers.
Enregistré dans le studio ensoleillé de Jackson Brown, et boosté par les récentes collaborations de Ben Harper avec un quart du groupe le plus important de l’histoire du Rock (comprendre Ringo Starr des Beatles), « Give till it’s gone » arriverait presque à nous faire oublier qu’il prend source dans la partie meurtrie du coeur de son auteur. Un tiers juif lituanien, un tiers cherokee, un tiers black et un sang chaud comme le sable estival de Long Beach lui confèrent un prix-nobel informel d’anti-raciste mais ne l’épargnent pas des déboires personnels. On dit que les aléas tristes de la vie sont la base des grands disques. Récemment divorcé, donc forcément détruit par certains côtés, Ben Harper continue de grandir, mais ne semble pas vieillir. Quelle chance. Sans trop forcer sur la mémoire, ce qui frappe nos souvenirs confus sur ce qui est quoi et sur quel album, on constate avec « Give till it’s gone » que rarement un disque de Ben Harper n’avait aussi bien commencé. Folk-blues funèbre et voix d’ange sur « Don’t give up on me now », refus d’abattement gospel au final noisy sur « I will not be broken », funk-rock chic et pas cher sur « Rock’n’roll is free », tire-larmes mélancolique sur « Feel love » et révolte rock-addict sur « Clearly severely »: la séparation a du bon, on a retrouvé le grand Ben Harper, le Ben incandescent de « Burn to shine » (1999). Le roi de la guitare slide n’est jamais vraiment parti, en fait, il va même jusqu’à trouver le pardon sur « Waiting on a sign ». Comme on ne peut garder un noyau de pêche indéfiniment dans la bouche, le californien attend la fin (« Dirty little lover », « Do it for you , do it for us ») pour gerber son état de révolte, cette déception du coeur qui, on en est sûr désormais, a aidé l’album à germer. La « fin » justifie les moyens. Comme un sentiment enfoui, il s’avère que « Give till it’s gone » était dans les soutes de Virgin depuis un an déjà; mais en musique comme ailleurs, les sensations sont là pour refaire surface. Peut-être plus sincère que d’habitude, avec une carrière sans réelle fausse note, Ben Harper peut seulement regretter de ne pas être né plus tôt dans l’histoire du Rock.
Disponible en CD: Ben Harper, « Give til it’s gone »
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