On peut dire merci aux anglais. Mais lorsque l’on parle du royaume de sa majesté couronnée, mieux vaut aborder la tangente de son brit-rock décomplexé plutôt que ses mariages pour milliardaires coincés. A contresens du marché qui dégringole et qui grogne devant toute prise de risques, faisant saliver les majors ne sachant plus trop qui signer pour engraisser le mammouth, les Arctic Monkeys font les beaux jours de Domino Records. Il faut dire qu’en 2005, le label londonien a eu du nez. Un peu poussée par l’engouement hors du commun des fans pour ce jeune groupe encore puceau discographique, la firme, en les signant, va pulvériser un record en « bad period », déjouant la piraterie coutumière: Janvier 2006, en une semaine, « Whatever people say i’m, that’s what i’m not » s’écoule à 365 000 exemplaires. Fermez boutique, marquez d’une pierre blanche le calendrier, c’est jour de fête chez nos amis disquaires. S’en suivra un an plus tard « Favourite worst nightmare« , enregistré dans la même énergie et affûté pour les festivals. En 2009, après l’escapade solo du chanteur au sein des Last shadow puppets (avec l’autre prodige Miles Kane), les Arctic Monkeys vont aborder un tournant en confiant la production de « Humbug » au frontman des Queens of the stone Age, le roux inquiétant Josh Homme. Banco, l’album vire psychédélique, la fougue se transforme en trip stoner et poussiéreux, les Arctic Monkeys ne seront plus appréhendés de la même façon.
Si l’on s’attarde un peu sur les groupes d’aujourd’hui et que l’on traduit leurs intentions, on voit tout de suite que les Arctic Monkeys font bande à part: les Kings of Leon veulent faire crier les minettes dans lesquelles sommeillent des hystériques? les Strokes veulent montrer aux gosses de riches qu’on peut avoir la rebelle attitude même avec les cheveux propres? Coldplay est convaincu d’attirer les ménagères blasées dans des stades bondés à la limite de la suffocation? Nos surdoués de Sheffield, eux, titillent une autre dimension; le quart de siècle à peine entamé, ils n’ont plus trop à s’en faire. Ils ont conquis ceux qu’il fallait: lads, mods, suburbians, rock critiques… Alors même si leur leader, Alex Turner, impressionnant de charisme, avoue sans détour adorer se balader incognito dans son nouveau port d’attache new-yorkais, il n’en est pas moins un british, un vrai, maigrichon d’banlieue à l’accent indéchiffrable et au talent incommensurable.
Bizarrement, la musique des Arctic Monkeys transpire la longue réflexion, la recherche patiente, et curieusement, leurs disques sont rarement espacés de plus de quinze mois. Cinq ans d’existence, en âge canin, multiplié par sept (soit 35), leur donnerait l’équivalent des Smiths, groupe phare des années 80 (sans qui fooltitude de Libertines ou autres n’auraient vu le jour), et auxquels la voix de Turner nous fait de suite penser (« Love is a laserquest« , « Suck it and see« ). Adoptant un ton plus grave que d’habitude, tout a bougé chez Alex Turner, mais paradoxalement, rien n’a changé. En quatre albums, il a progressé, sublimé ses talents, élargi ses aptitudes « cordes », son larynx a mué, sa guitare lui a rappelé qu’elle avait six cordes, sans doute gargarisée par l’influence de Josh Homme désormais co-producteur attitré. La furia banlieusarde des débuts – nous sommes à Sheffield, cité industrielle typiquement anglaise – a laissé place à un néo-psychédélisme maîtrisé et ambitieux (« All my own stunts« , « Piledriver waltz« ), résultat d’une évolution musicale réusie et pas évidente si l’on réécoute leurs premiers opus. Sans aucune volonté d’inonder le marché d’un single porteur et aguicheur, « Suck it and see » sent le souffre en évitant le piège de la rockstar. Cette bande de singes-potes est plus que jamais installée dans une consécration artistique, une séduction up-tempo, un juste milieu entre le grand-ouest américain et les bas-fonds de Sheffield (« Brick by brick »), avec un arrière goût prononcé de space porridge saveur chichon sudiste (« Don’t sit ’cause i’ve moved your chair« , « Library pictures« ). Excellents, surprenants, largement à la hauteur des attentes, les Arctics Monkeys sont bel et bien LE groupe anglais du moment, et une fois de plus, ils ne se contenteront pas des cacahuètes.
Disponible en CD et LP, The Arctic Monkeys, « Suck it and see »
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