Avec le recul, c’est peut-être ce qui aurait le plus ressemblé à un poisson d’avril. Mais réduire ce nouvel album d’Amadou et Mariam à la seule participation de Bertrand Cantat serait une erreur, même si le puncheur apparaît sur la quasi totalité des titres. Il est vrai qu’après des années de galères, le bordelais a plus eu besoin de la bonne humeur malienne d’Amadou et Mariam qu’eux même auraient pu se sentir embarrassés par la décennie médiatique maligne de l’ex-Noir Désir. Rappel des faits: le déchirement puis la séparation du groupe de Rock français le plus crédible des vingt dernières années, la fin d’un quatuor camarade rouge coco qui a prolongé la vie du communisme par les décibels. Reste à savoir si les derniers fans suivront les nouvelles aventures d’un chanteur (et d’un mouvement?) meurtri. Passé les présentations, Cantat s’en va rejoindre à l’aveugle la poussière centre-africaine après avoir rongé la froideur carcérale lituanienne. Des sombres héros de la vie qui redonnent la vue à un artiste à l’horizon flouté par la polémique qu’il a semé. Qui dit mieux comme définition de l’hospitalité africaine?
Après Manu Chao sur « Un Dimanche à Bamako » (2004) ou Damon Albarn (Blur) et sa lumineuse participation à « Welcome to Mali » (2008) – véritable confcall de l’amour – c’est au tour de Bertrand Cantat de revivre au contact des époux maliens. Même si dans le fond, les faits sont plutôt du genre graves et résistants, Amadou l’assure: « Ce qui nous a attiré, c’est sa performance artistique. Il faut évoluer, changer la vie, ne pas rester statique. Il y a des reconversions et des choses qui peuvent arriver sans le vouloir. La musique est là pour ça. » Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le blues aride d’Amadou et Mariam apporte une bouffée rafraîchissante à l’actualité musicale, une contribution sans artifices à un genre en quête d’espoir, et qui semble ici avoir besoin de passer par l’Afrique pour se retrouver. Sous cette décontraction parolière et ces élans d’amour au premier degré (« Sans toi », « Chérie »), nos inséparables cachent véritablement une conscience positive naturelle et un sens inné de la mélodie. Etre pote avec tout le monde est une chose, mais réussir à se faire aimer sur les quatre continents en est une autre. Et c’est encore à coup de collaboration fructueuses que nos deux ambassadeurs vont étendre leur rayonnement. Prenez de la guest afro-américaine tendance et talentueuse comme Santigold, Amp Fidler, TV on the radio ou Theophilus London, et vous obtiendrez un mélange groove-rock-tribal plus que séduisant (« Wily Kataso », « Wari »), scratchy (« Nebe miri »), bien aidé par un Amadou aux accords blues toujours en place (« Bagnale »), et qui n’hésite pas à mélanger psychédélisme black et lévitation chamanique (« Dougou badia »). Mais le plus intéressant reste l’incursion du repenti blanc, apportant son aide vocale à une Afrique décomplexée qui a envie de s’ouvrir au monde entier, du Cantat profane et sacré (« Oh Amadou »), amoureux écorché (« Africa mon Afrique »), marabouté dans une cause qu’il ne lâchera sous aucun prétexte (« Another way »). Africa, c’est plus fort que toi. Certes, l’expansion mondiale du duo relègue un peu plus au second plan l’intimité qui a fait leur force, mais elle permet à la musique d’avancer avec sourire et naïveté. En route pour la joie?
Gyslain Lancement
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