Depuis le 31 octobre, le monde des morts-vivants n’est plus le même. Trop souvent cantonné au format filmique de deux heures maximum, les zombies n’ont jamais eu la chance de s’étendre de tous leurs membres décomposés sur l’inconscient visuel collectif. C’est désormais chose faite avec la nouvelle série TV The Walking Dead, basé sur le comic-book du même nom, qui donne enfin un terrain propice au développement de nos chers êtres en voie de pourrissement.
C’est donc à Halloween dernier, date prémonitoire et en aucun cas innocente, que l’épisode pilote de The Walking Dead passa pour la première fois sur la chaîne câblée américaine AMC, déjà responsable de Breaking Bad et Mad Men. 5,3 millions de téléspectateurs plus tard, la série devient instantanément culte aux États-Unis, mais aussi sur notre bon vieux continent et ce même si la série n’a encore été diffusée sur aucune chaîne européenne (merci Internet donc!). Chez nous, le succès de la série se fait surtout ressentir au niveau des ventes du comic-book, qui en l’espace d’une semaine ont presque été multipliées par cinq. On l’aura bien compris, The Walking Dead commence gentiment à devenir un phénomène, autant chez les aficionados du genre que chez les simples curieux. Une question reste néanmoins en suspens: pourquoi un zombie-flick connaît-il un succès aussi vaste aujourd’hui, alors que l’histoire du genre est déjà longue de 80 ans?
Comics créé en 2003 par Robert Kirkman (Marvel Zombies, Invincible) et Tony Moore (The Exterminators, Fear Agent), The Walking Dead s’est vite trouvé une bonne place sur les étalages des comic-shops d’outre-Atlantique, avant de connaître un succès exponentiel, au rythme des révélations, des morts et des relations conflictuelles qui jalonnent chaque nouveau numéro. En français, la traduction se fera attendre pendant quatre ans avant de débouler chez Delcourt et de devenir en à peine deux ans le comic-book traduit le plus vendu en francophonie. Pourtant, rien ne prédestinait cette série à connaître un tel engouement. Au contraire, elle additionnait même plus les défauts commerciaux qu’autre chose: graphisme noir et blanc, genre désuet, histoire au goût de déjà-vu et texte parfois abondant. Et contre toute attente ce sont ces aspects qui feront son succès.
Dans The Walking Dead, ce qui prime avant tout ce sont l’histoire et les personnages. Les zombies ne sont alors plus qu’une excuse pour faire ressortir les instincts souvent primaires et parfois raisonnables de chaque protagoniste. Car, c’est ce dont il s’agit ici : analyser le comportement humain lorsque celui-ci est confronté à une situation extrême, en l’occurrence la fin de l’humanité et la présence d’une menace bien palpable. Á l’instar du maître Romero, Kirkman s’évertue donc à mettre ses personnages dans une suite de positions délicates et souvent mortelles: traverser une rue infestée couvert d’entrailles de zombies pour passer inaperçu, apprendre que votre femme, vous croyant mort, vous a trompez avec votre meilleur ex-collègue, devoir sacrifier une vie pour la survie du groupe, vivre dans la peur et dans l’insécurité chaque seconde de votre nouvelle vie.
Les dialogues occupent une place importante, car en dehors des rares scènes d’action l’intrigue se base principalement sur les relations humaines. Ils sont certes abondants, mais souvent essentiels pour la compréhension. Le graphisme et le découpage, eux, sont complètement mis au service de la complexité du scénario. Simples et efficaces, ils apportent en plus une atmosphère sombre et épurée et donnent une identité visuelle reconnaissable entre toutes. On l’aura compris, The Walking Dead est avant tout une histoire bien construite basée sur des personnages non-stéréotypés et aux comportements réalistes. Mais c’est surtout sa capacité à réinventer un genre cloisonné depuis des décennies qui fait de The Walking Dead une œuvre rare et déjà culte.
Mais malgré toutes ses qualités, un petit quelque chose manquait au comic-book et c’est exactement ce que la série TV va apporter au matériau originel. Là où la BD est silencieuse, le cinéma peut varier ses effets sonores à volonté pour accentuer une émotion ou un évènement particulier. Là où la BD prend le temps qu’il lui faut pour raconter une intrigue, le cinéma doit aller à l’essentiel par manque de temps et d’espace. Là où la BD est sur arrêt, le cinéma peut se permettre une multitude de mouvements qui apportent un dynamisme et un contraste à l’intrigue. Ainsi, en confiant l’adaptation de The Walking Dead au réalisateur Frank Darabont, AMC a tout compris. Habitué aux transcriptions cinématographiques des écrits fleuves de Stephen King (Les évadés, La ligne verte et The mist), Darabont sait parfaitement manier le contenu et le contenant. D’un réalisme brutal, la réalisation reste sobre dans les passages calmes, mais part dans des envolées quasi-lyriques quand les émotions sont à fleur de peau. La scène croisée du pilote où Rick achève un zombie démembré et où Morgan essaie de tuer sa femme transformée est l’exemple parfait du savoir-faire de Darabont et de l’aspect cinématographique qu’il apporte à la série, un mélange de retenu et de justesse technique: une scène déjà anthologique qui en 3 minutes résume tout le dilemme de l’homme face à sa propre image et son passé. C’est là tout le propos du genre que Romero a créé en 1968: redéfinir la nature humaine en se basant sur nos peurs les plus profondes, en l’occurrence perdre ses proches aussi brutalement et les revoir marcher pour nous dévorer. Comment réagirions-nous face à ça? Les personnages de The Walking Dead y sont autant préparés que nous et vont devoir faire face à leur émotions et renouer avec leur moi le plus primaire, la survie, tout en gardant leur part d’humanité. Un paradoxe interprété à merveille par un casting surprenant de talent qui à aucun moment ne tombe dans le sur-jeu et sur lequel se repose la majorité de l’action. Enfin, les dialogues gagnent ici en puissance et en simplicité, contrairement au comic-book, donnant ainsi un impact et un charisme plus important aux personnages.
The Walking Dead, le comic-book et la série TV, se complètent parfaitement. À chacun désormais de trouver ses préférences dans l’un ou l’autre de ces médiums. Quoi qu’il en soit, cette histoire nous prouve que l’humain est une source inépuisable d’intrigues et que les zombies resteront toujours dans nos cœurs, comme ils le sont déjà depuis White Zombie ou The night of the living dead.
Ah! Ces chers morts-vivants, miroirs de nous-même…
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