Deux ans après le désastre Altamont, deux ans après la noyade improvisée de Brian Jones et une période de flottement métamorphosante, les Stones vont faire sursauter la planète Rock. Décidés à en finir avec Decca et les vampires du fisc, le groupe va initier une nouvelle ère en transcendant le blues de ses débuts. Amorcé par leur nouvel emblème de la grosse bouche désormais légendaire et bankable à plus d’un titre, Sticky Fingers va déterminer le son des Rolling Stones pour les 40 ans à venir.
Habillé d’une pochette high-tech pour l’époque où aurait pu figurer la mention « port de la braguette exigé », voué naturellement à déranger et approfondi par le talent visionnaire d’Andy Wahrol, ce visuel est un véritable nid à censure. Joe Dalessandro prête ses hanches à la première de couverture bombée de l’album, semant longtemps le trouble dans l’esprit des fans quant à l’identité de l’inconnu dézippable. Jagger? Pas Jagger? Les Stones cultivent le post-érotisme de 69, le poussant même à l’excès sur la langue chaude d’un Jagger dépourvue de pincettes dans « Bitch ». L’étonnant « Can’t you hear me knocking » tout en rafales d’accords directs et graisseux, le Faithfullien « Sister Morphine » et l’hymne allusif « Brown Sugar », parfaite introduction charnelle et salace, ramènent tout au même point: la dope. Sous toutes ses formes. Le garot entre les dents, la faucheuse intraveineuse est omniprésente dans la musique des Stones de l’époque.
Sur le grand échiqiuer noir et blanc du rock, les Glimmer twins vont fusionner leurs talents, Richards à ses riffs poisseux, Jagger à ses rimes démoniaques, mêlant le génie blues du Delta black aux excentricités blanches made in Britain. Un Keith Richards héroïque va y imposer son style, souvent imité, jamais égalé, fait d’accords cradingues lâchés comme lui seul saura jamais le faire, la « griffe Richards », se complétant délicieusement avec la précision mélodique du p’tit nouveau Mick Taylor prêt à prendre son pied. La country si cher à Keith est prise au sérieux, « Wild horses » est un summum de coordination paroles-musique né de l’entente constructive des 2 frontman du groupe, un titre à la notoriété inépuisable. Jagger prouve son talent d’écriture et en plein élan prolifique, il s’affirme en génial auteur lyrique à la hauteur de ses idoles bluesmen des fifties. Des cuivres et des musiciens additionnels comme Ry Cooder et le remarquable saxophoniste texan Bobby Keys ajoutent leur pierre à l’édifice, contribuant à la destinée d’un pur moment de rock’n’roll brut de décoffrage.
Les Stones ont inventé un son, un « fisc-fucking » à l’anglaise. Sticky Fingers nous trimballe dans un monde qui se gobe par les neurones et qui ressort un peu plus bas sous la ceinture. Une révolution pour un public vaste, une hérésie pour les oreilles chastes. Lassé des manoeuvres frauduleuses de leur manager Allen Klein et toujours en proie aux difficultés fiscales, les Stones vont continuer leur cavale, destination Nellcôte. En route pour « Exile… »
Les Rolling Stones sont sûrement le plus grand groupe de rock de tous les temps et »Brown Sugar » la meilleure chanson de l’histoire ou en tout cas celle qui devra rester en mémoire après l’apocalypse. A force de se faire entuber, la bande à Jagger a contracté un instinct avancé de gentleman/businessman à qui on doit de merveilleuses rééditions truffées de bonus et d’images d’archives. « Sticky Fingers » a 40 ans cette année et nous laisse le droit de rêver…
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