La seconde guerre mondiale est un thème qui revient inlassablement dans la bande dessinée. On se rappelle de La bête est morte de Calvo, d’Ernie Pike de Pratt, de Maus de Spiegelman, de La guerre d’Alan de Guibert, du Sursis de Gibrat ou encore de L’histoire des trois Adolfs de Tezuka. Aujourd’hui encore, cette guerre est un vivier intarissable de récits et de personnages pour les auteurs contemporains. C’est ainsi qu’après plus d’un mois de calme plat (vacances obligent), la rentrée du neuvième art s’amorce doucement avec la sortie de quelques titres plus que bienvenus. Parmi eux, les remarquables Stalingrad Khronika et Wotan, deux albums dont les intrigues se déroulent durant cette fameuse seconde guerre mondiale, l’un sur le Front de l’Est et l’autre sur la ligne Maginot et à Paris.
Stalingrad Khronika nous conte la mission particulière du camarade-cinéaste Yaroslav, qui caméra au poing va devoir réaliser le plus grand film patriotique russe possible, en se rendant au cœur de l’action. Apostolat déjà difficile de par sa nature, l’équipe et le commissaire accompagne Yaroslav ne vont rien arranger. Chacun ayant sa vision du film et des objectifs à atteindre, les disputes vont être monnaie courante et une ligne de front n’est pas le meilleur endroit pour ces dernières. Ajoutez à cela le fait que Yaroslav est un mauvais cinéaste et un trouillard de première, cette équipée s’annonce d’autant plus instable et explosive.
Habitué des personnages pris dans la tourmente de l’Histoire, notamment avec Extrême-Orient, Aziyadé ou encore L’obéissance, Franck Bourgeron nous dépeint ici les destins de quatre hommes aux idéaux assumés et surtout contradictoires les uns des autres. Immergés dans un décor de mort et de ruines, où la neige grisée cohabite avec le pourpre coulant des murs salis, les personnages se supportent tant bien que mal et ne se réunissent qu’autour d’une bouteille de vodka ou de leur esprit patriotique. Déracinés de leur vies passées, ils vivent la guerre au jour le jour et s’aventurent sans précaution ni organisation entre les lugubres bâtiments, essayant de filmer ce qu’ils peuvent avec le matériel rudimentaire qu’ils possèdent. Mais le film perd peu à peu de son importance et laisse vite place à l’animosité qui ronge petit à petit ce groupe et le rend du coup vulnérable et inattentif. C’est surtout entre Yaroslav et Simon que la tension se durcit, quand le premier découvre le passé du second. Situation qui envenimera l’intrigue d’un cran supplémentaire, une goutte d’eau qui risquerait de faire déborder le vase. Au dessin, Sylvain Ricard donne au récit une dimension austère et suffocante, avec son trait charbonneux et minimaliste. Les couleurs sales ajoutent une nouvelle couche à cette atmosphère et finalisent cette œuvre faite de gris, de noir, de blanc et de rouge. Stalingrad Khronika est une histoire de relations humaines, prenant pour théâtre une guerre de froid et de sang, qui réveille l’égoïsme et la fierté aveugle des hommes. Révélateur, sale et intimiste.
Wotan, lui, se déroule en France entre 1939 et 1940. Trois récits nous sont contés de manière parallèle. Louison a perdu la mémoire et ses parents en même temps. Il a été recueilli par une famille, mais fugue rapidement et se retrouve perdu sur les routes lorsque la guerre éclate. Etienne est forcé de quitter l’Université de Vienne pour prendre part à la mobilisation générale, à Paris. Là, il retrouve ses amis, mais aussi ses ennemis, qui sèment peu à peu les germes de la collaboration. Yin-Tsu, jeune photographe japonaise, est chargée d’immortaliser sur pellicule chaque œuvre du Louvre, au cas où les Nazis envahiraient Paris et brûleraient le musée. Ces trois destins seront vite rejoints par un quatrième, qui nous montrera la face de l’ennemi, en la personne d’Heinrich Himmler, initiateur de la solution finale et chef des SS et de la Gestapo.
Fort d’une documentation solide et de témoignages personnels (ses parents vécurent sous l’occupation), Eric Liberge nous livre un album dense et passionnant. Thème déjà présent dans Monsieur Mardi-Gras Descendres, l’étude du totalitarisme prend dans Wotan tout son sens, puisqu’il est l’élément déclencheur des trois intrigues et leur toile de fond. C’est dans une ambiance d’instabilité certaine qu’évoluent les personnages, chacun essayant de tirer le meilleur parti de leur situation, tout en restant fidèles à eux-mêmes et aux gens qu’ils aiment. Les évènements les pousseront néanmoins à adopter des comportements nouveaux et parfois surprenants, guidés par leur instinct de survie. Louison sauvera un bébé et décidera de s’en occuper. Etienne connaitra la guerre d’usure sur la ligne Maginot et tiendra grâce aux lettres qu’ils échangent avec Yin-Tsu. Cette dernière vendra son corps aux collaborateurs pour survivre dans un Paris aux mains des Nazis. Ces trois destins finiront sûrement par se croiser, pour enfin se rejoindre éventuellement, au cours des deux albums suivants de cette trilogie annoncée. Utilisant une mise en page serrée et dense, aux dialogues innombrables, Liberge nous plonge sans retenue dans son récit et crée ainsi une véritable fresque humaine, une quasi-épopée aux allures romanesques assumées, qui nous impressionne par sa force d’évocation et par son émotivité. A l’image de la couverture, Wotan se lit sur plusieurs plans et nous demande de revoir nos habitudes de lecture, en utilisant un style narratif entre mise en scène cinématographique et narration littéraire. Graphiquement sublimes, le dessin et les couleurs de Liberge marquent un fossé entre la réalité brutal des évènements et les fictions contées. Sa palette est en effet claire, rêveuse et parfois fantomatique, comme si les personnages désireraient être ailleurs et que leurs situations sont bien trop difficiles pour être traitée avec réalisme et objectivité. Wotan est une histoire d’Histoire et de destins, qui jongle parfaitement entre survie, amour et fatalité. Passionnant, splendide et édifiant.
Le tome 2 de Wotan paraîtra en Janvier 2012 et le tome 3 en Septembre 2012.
Et en bonus, la bande-annonce de Wotan !
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