Découvert grâce à Là où vont nos pères (lauréat du Fauve d’Or 2008), Shaun Tan est un artiste unique et visionnaire. Disponibles en français depuis peu, ses trois œuvres majeures dépeignent un univers onirique, poétique et mystérieux. Véritable invitation à la rêverie, chacune de ses histoires est une plongée totale dans l’émerveillement de l’esprit. Shaun Tan nous déconnecte et nous libère des lourdes attaches de la réalité… et c’est pour ça qu’on l’aime.
Là où vont nos pères – Dargaud – 2007
Bande dessinée totalement muette, Là où vont nos pères nous raconte l’histoire d’un homme qui s’arrache à ses racines, pour faire vivre sa famille. Entre amour, simplicité et joie de vivre, l’homme mène une existence heureuse et sans artifices, entouré d’une famille qu’il aime et qui l’aime. Mais, la réalité ne va tarder à la rattraper. Le coût de la vie augmente et il va devoir trouver un meilleur emploi pour subvenir aux besoins de ses proches. Et qui dit nouvel emploi, dit la grande ville. Véritable monstre de bitume, elle s’étend à perte de vue sur la campagne et y impose ses fabriques, ses commerces et sa population sans cesse grandissante et étouffante. L’âme tiraillée, l’homme quitte son havre de paix pour intégrer cette frénésie sans fin. Après avoir trouvé un minuscule appartement, il se lance dans la recherche d’un emploi et découvre une société déshumanisée et aliénante. Mais qu’à cela ne tienne, sa famille à besoin de lui. Cette pensée l’accompagnera tout au long de son long séjour et lui fera tenir le coup.
Splendide métaphore sur l’exode, Là où vont nos pères nous parle de la tristesse des séparations, de la peur de l’inconnu, de la solitude écrasante des villes et de la force de l’amour. Une histoire magnifique pour un graphisme splendide. Dominé par un sépia aux nuances innombrables, le dessin de Tan peut tout d’abord paraître austère et monotone, mais c’est dans les contrastes et la narration que la magie opère. Loin de ressembler à New York ou autres mégapoles, la ville en est l’exemple parfait. Monde fantastique à part où chaque élément est nouveau, étrange et donc déstabilisant, cette ville tentaculaire retranscrit parfaitement le sentiment d’égarement du personnage principal. Autre élément important, l’absence de texte nous pousse à regarder plus attentivement les détails de chaque case et nous plonge petit à petit dans un monde imaginaire, nous forçant malgré nous à adopter une attitude de lecture différente et nouvelle.
Un chef-d’œuvre sans conteste, qui nous ébloui de toute parts.
Contes de la banlieue lointaine – Gallimard – 2009
Recueil d’une quinzaine d’histoires, ces Contes de la banlieue lointaine prennent pour décor une zone pavillonnaire où tout semble possible et inattendu. Dans chaque recoin se cache une histoire extraordinaire, soit palpitante, triste ou étrange, mais toujours éblouissante. Un buffle d’eau qui n’aime pas parler, un scaphandrier qui découvre le monde après être resté des années immergé, deux enfants qui décident d’aller voir où le monde s’arrête, une pièce inconnue qui recèle de merveilleux trésors, un couple qui vécurent leur amour contre vents et marées, une étrange boule noire qui flotte au dessus des maisons et qui fait aboyer les chiens la nuit, une petite créature curieuse et aimante nommée Eric, une fête où chaque maison se transforme en fusée… voici le genre d’ambiances qu’on peut découvrir au fil des pages.
Là encore, Shaun Tan nous embarque sans préavis dans son univers propre et nous trimballe d’émerveillement en émerveillement. Á chaque histoire correspond un nouveau graphisme : noir et blanc, doré à la Klimt, couleurs irréels, textes égarés dans l’image et toujours ce sens aigu de la symbolique et du cadrage.
Autant d’histoires pour autant d’approches et d’expériences différentes, qui visent toujours là où il faut : au cœur.
L’arbre rouge – Gallimard – 2010
Dernière parution française en date, L’arbre rouge est un livre simple. Doté d’une petite trentaine de page, l’histoire nous fait suivre une petite fille aux cheveux roux. Triste dès le levé, elle erre dans les rues et à travers les paysages d’un monde incongru et surprenant où se mêlent incompréhension, désarroi, solitude et peur. Tout au long de son voyage, elle cherche sans espoir ce quelque chose qui la fera sourire et lui redonnera goût à la vie qu’elle aimait tant auparavant.
Composé d’illustrations souvent en double-page, L’arbre rouge raconte de manière poétique et fantastique ces jours où tout semble aller de travers, où plus rien ne fait sens et où la solitude nous accapare. Le graphisme de Tan fait ici encore mouche et nous embarque une nouvelle fois dans un monde qu’une fois de plus je vous invite vivement à expérimenter.
Ce vendredi 7 janvier, sort l’art-book de Là où vont nos pères, un livre de 50 pages qui retrace tout le processus créatif de l’auteur : des croquis préparatoires à la découpe des planches, en passant par la création d’un univers complet. Une curiosité à ne pas manquer pour ceux qui veulent poursuivre ce voyage.
Enfin, on espère que les traductions continueront bon train, car Shaun Tan n’a pas chômé ces dernières années et les anglophones ont déjà pu se régaler avec The Bird King, The Viewer, Memorial ou encore The Lost Things, qui fit l’objet d’un sublime court-métrage.
Shaun Tan n’a pas fini de nous émerveiller et de nous surprendre et c’est très bien comme ça !
www.shauntan.net
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