La fin du mois de septembre est déjà là : l’occasion parfaite pour faire un petit bilan de toutes les sorties de cette rentrée bien chargée.
Alors, certes, je passerai sur le Titeuf et autres Lady S et Alix qui n’ont pas vraiment besoin de présentation, pour me consacrer aux BDs dites « d’auteur » qui nous ont fait le plaisir de recouvrir en qualité et en quantité nos étalages trop désertés par un été léger.
Wazem, Vivès, Sfar, Miller, Trondheim, Denis et Brown : rien que ça, chers lecteurs… rien que ça !
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Mars Aller-Retour de Pierre Wazem, chez Futuropolis
Ça faisait cinq ans que Pierre Wazem ne se consacrait qu’au scénario et qu’il repoussait la création d’un album complet, comme à la belle époque de Promenade(s) et de Presque Sarajevo. Avec Mars Aller-Retour, il revient en force et nous parle justement de cette traversée du désert artistique, de la quête difficile d’inspiration et des questions qui occupent de plus en plus l’âme de tout homme gagnant de l’âge. Ce récit introspectif est fascinant et prenant. On entre dans la psyché du personnage, alter-ego de l’auteur, et on suit avec lui ses égarements, ses impasses et ses révélations. On se retrouve ainsi d’une manière ou d’une autre bien immergé dans cette histoire, qui nous touche au plus profond de notre état même d’être humain et d’être vivant en société. Un splendide tour de force !
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Tokyo vol. 01 de Joann Sfar, chez Dargaud.
Voici La BD trippante de la rentrée ! Sfar se lâche à tous les niveaux. Scénario déjanté, découpage épileptique, continuité à la rue, couleurs psychédéliques, personnages incongrus et situations hors du commun : Tokyo, c’est tout ça. L’auteur va si loin que ses personnages deviennent même réels (surtout les femmes) et qu’il intègre carrément des photos au dessin pour nous faire de l’effet. Comme à son habitude, on aime Sfar ou on n’aime pas. Mais quand on aime…
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Texas Cowboys de Lewis Trondheim et Matthieu Bonhomme, chez Dupuis.
Après l’essai très réussi d’Omni-Visibilis, le duo Trondheim et Bonhomme réitère avec Texas Cowboys : une autre réussite immédiate. Récit du Far-West, ce one-shot n’est pas aussi typique qu’il semblerait. Le scénario s’amuse à introduire les personnages comme des stéréotypes (le vieux roublard, le bandit sanguinaire, le journaliste peureux, la femme forte), avant de les contourner et de leur donner une réelle épaisseur. La narration joue beaucoup de cette technique, grâce aux incessants flash-backs et flash-forwards qui la composent et qui nous trimballent d’un évènement à un autre sans explications. Notre sens de lecteur est donc complétement mis à l’épreuve et la lecture ne s’en trouve que plus savoureuse et surtout plus aventureuse. Le graphisme lui témoigne encore une fois du talent de Matthieu Bonhomme qui, ici, nous offre un travail splendide sur les couleurs et les ambiances, tout en affinant sont trait déjà bien posé. Texas Cowboys est un succès à tous les niveaux : divertissant, intelligent et beau.
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La Grande Odalisque de Bastien Vivès et Rupert & Mulot, chez Dupuis.
Qui réussira à freiner Vivès ? Pas nous en tout cas, car les auteurs productifs au talent évident sont rares et Vivès en fait indubitablement parti. On se rend compte ici que le duo Rupert & Mulot a vite été cantonné au graphisme (quoique aussi influencé par Vivès), tellement La Grand Odalisque est marqué de bout en bout par le style de Vivès. On y suit trois drôles de dames, qui n’ont rien trouvé de mieux pour vivre que de voler des tableaux dans les plus grands musés du monde. Bien-sûr les sentiments vont venir s’en mêler et mettre du grain de sable dans l’engrenage. Si le pitch est aussi simple, c’est que Vivès a clairement voulu rassembler tous ses fantasmes dans une seule BD ! Filles sexy au caractère bien trempé, situations irréelles, scènes d’action dantesques digne des meilleurs jeux-vidéos et dialogues décomplexés, tout ce qui transparaissait légèrement dans ses albums précédents est ici comme un coup de poing à la figure. On s’en prend plein les yeux. Les images sont d’une puissance ahurissantes et la mise en scène sans aucune limite. Un pur plaisir, certes à maintes reprises coupable, mais tellement jouissif !
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Terreur sainte de Frank Miller, chez Delcourt.
Difficile de lire ce nouveau Miller sans avoir en tête tout les scandales dont il a été l’initiateur ces derniers mois sur Internet. Oui, le monsieur a des penchants très à droite. Oui, le monsieur aimait beaucoup Bush. Oui, le monsieur est plus que patriote. Terreur sainte transpire tout ça. Mais bon, en même tant 300 et Sin City aussi et ça ne nous a pas empêché de les apprécier. Ce nouvel album nous raconte donc comment un héros va aller sauvé son aimée (héroïne aussi) prise dans les griffes de musulmans intégristes et aussi pour les empêcher de refaire péter des bombes dans ce beau pays qu’est les États-Unis d’Amérique. On sent parfaitement que le projet avorté de Batman Vs Ben Laden est entièrement repris dans Terreur Sainte et que Miller ne mâche pas ses mots, l’incipit de ce récit étant : Si tu croises l’infidèle, tue l’infidèle (une citation de Mahomet, donc !). N’empêche que Frank Miller reste un des meilleurs auteurs de BD du monde, que sa narration est impeccable, son graphisme toujours aussi renversant et ses partis paris totalement assumés, qu’on soit d’accord ou pas. Terreur sainte est une bonne grosse claque comme seul Miller sait nous les donner et rien que pour ça, sa lecture est plus que fortement conseillée.
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Vingt-trois prostituées de Chester Brown, chez Cornélius.
A l’instar de son ami Joe Matt, Chester Brown n’hésite pas à raconter ses expériences sexuelles dans ses bande-dessinées. Et c’est plus que jamais le cas ici où il nous expose comment il commença à voir des prostituées, à les apprécier et à y revenir plusieurs fois. C’est aussi et surtout l’occasion pour lui d’élaborer plusieurs théories passionnantes sur l’idéal romantique, sur les relations de couple et sur la culpabilité sexuelle. Tout ça s’entre-mêle parfaitement et gagne une dimension quasi-documentaire, grâce au point de vue extérieur qu’adopte Brown tout le long du récit, même dans les moments les plus inappropriés : en pleine action par exemple. Mais l’auteur ne s’invente pas un personnage et se met littéralement à nu, avec ses faiblesses et ses peurs, pour nous raconter ses expériences. Les questions qu’il se pose sans arrêt vont vite écho à certaines que l’on se pose également et que Brown a le courage de révéler. C’est cette honnêteté envers le lecteur qui fait tout le charme de cet album et toute sa substance, et qui nous permet d’entrer facilement dans le récit, voir de s’y identifier. L’auteur nous offre de plus un dossier de cinquante pages sur la situation des prostituées canadiennes et tout les sujets que leur présence soulève. Vingt-trois prostituées est un récit touchant, passionnant et rare.
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Zone blanche de Jean-Claude Denis, chez Futuropolis.
Je finis ce petit bilan avec l’auteur qui a reçu le Grand Prix d’Angoulême cette année et qui, paradoxalement, est ma plus grosse déception du mois. On est bien-sûr habitué au style graphique figé et narratif lent de Denis, mais s’attaquer à un polar sans modifier un temps soit peu ce style n’était peut-être pas une si bonne idée. On se retrouve ainsi avec un récit insipide, sans suspens, qui essaie tout au long de ses 68 pages de créer une atmosphère et un rythme, en vain. Pire, on a l’impression que Denis se dépatouille tant bien que mal entre le récit intimiste de ce personnage allergique aux ondes électromagnétiques (sujet très intéressant en soi) et la quasi-obligation qu’il a l’air de s’être fixé, en faisant un polar et en en respectant ses codes. Il joue donc sur deux tableaux mais n’arrive à aucun moment à les concilier, jusqu’à un final plat et tellement décevant. Une grosse déception !
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