Des ghettos coupe-gorge aux prairies verdoyantes de Suisse, il y a un gouffre. Mais cela n’empêche pas Stress d’être le rappeur numéro un depuis dix ans sur ses terres d’adoption helvétiques. Le vendredi est un peu son jour préféré, et Fri-son l’a vite compris. Pour cet entretien, soyons clair. Même si ce son respire le béton, à nous de faire une fleur: on ne parle ni de Coop ni de Mélanie Winiger. Paraît que les rappeurs sont des sales gosses. Interview Big-up.
Avec ton nouvel album, « Renaissance II », je n’ai pas simplement découvert Stress, mais l’homme qui se cache derrière, Andrès Andrekson…
Merci. Peut-être que c’est une question de temps, d’âge, j’en sais rien…
Si l’on se fie à ta pochette, on voit une scène de guerre (les soldats helvètes à la bataille de Sempach en 1386) et si l’on compare ça à ta musique, on se dit que les rappeurs sont des guerriers, qui se battent avec leurs armes: le flow et les mots. Et paradoxalement, tu n’as jamais paru autant à fleur de peau…
C’est possible. Pour moi c’est difficile. Car je pense qu’il faut au moins une année pour avoir du recul sur un album. Il faut du temps pour comprendre ce que t’as fait, etc… C’est tout un processus et à ce niveau là, j’ai pas complètement analysé le truc. Mais c’est aussi dangereux d’analyser pour moi. Je me contente d’abord de le faire et d’avoir l’impression que j’ai fait juste.
Même les featurings, tu les intègres beaucoup dans ta confession, dans ton ombre…
Ouais! Et puis pour moi c’est important de faire des featurings avec des gens que je peux considérer comme ma famille, finalement. Je ne suis pas trop pour les featurings par internet, les trucs où les artistes ne se voient même pas et ne font que se partager la caillasse… Là tu vois, avec Karolyn ou M.a.m., on traine ensemble à la fin de la journée, c’est devenu des potes et tout… Ce sont toutes des choses qui vont plus loin que la musique.
Quand tu chantes « Fuck Stress », on a l’impression qu’il y a une vraie cassure avec le passé…
Il faut que les gens se rendent compte que pour moi aussi, c’est parfois lourd à porter ce statut. On est souvent associé à quelque chose, et Stress n’est pas forcément Andres, pas tout le temps. Pour plein de gens c’est le cas, et du coup c’est pesant. Alors voilà pourquoi j’ai envie de dire « Fuck Stress ».
Juste avant, tu parlais d’âge. Le fait de plus parler de toi dans tes chansons, finalement c’est comme une suite naturelle, un truc que l’on ne contrôle pas, la vie quoi…
C’est exactement ça! Et il ne vaut mieux pas essayer de le contrôler sinon tu vas droit dans le mur. Il est très important de garder une certaine liberté à ce niveau là, une fraîcheur, quelque chose de spontané.
A l’époque de Double Pact (son ancien groupe), le rap dérangeait la société, mais c’était clairement son fonds de commerce, sa fonction première. Quinze ans après, le rap est devenu à la mode, il est rentré dans le rang. Toi, tu le vis comment en tant que rappeur à succès?
C’est différent. Par exemple tout à l’heure je suis sorti une minute, une famille s’est approchée de moi et voulait une dédicace, du papa jusqu’au p’tit dernier. Les gens viennent au concert en famille, chose impensable il a quinze ans. Je me souviens, dans ce genre de salle, t’avais NTM qui venait et des mecs se tapaient là devant (rires). Le courant rap est devenu accepté, les gens comprennent et acceptent cette musique désormais.
Dans le public du rap, il y a un truc qui ne change pas trop, c’est le fantasme. Depuis longtemps, des mecs rêvent d’une vie à la Scarface, soit une ascension illicite rapide et une chute minable…
(il coupe) et c’est souvent à l’image de leur carrière.
Mais il y a aussi des mecs comme Jay-Z ou Puff Daddy qui investissent intelligemment ou qui crée leur marque de fringue. Toi, Stress, tu as crée ta collection de vêtements « Bear Inc ». Ce sont des modèles pour toi ces poids lourds du Hip-Hop?
Bien sûr. Je pense qu’il ne faut pas avoir honte de l’ambition. Franchement, en Suisse, on n’est pas assez stimulé, on se ferme, beaucoup d’artistes manquent de courage vis-à-vis de ça. Le tout c’est d’essayer de le faire. Je dis pas que je vais réussir, mais si on n’essaye pas, on ne sait pas. Il faut être audacieux dans la vie. Et malin.
Le marché américain, tu as mis un pied dedans récemment à travers une collaboration avec Snoop Dogg et Busta Rhymes. Tu l’as vécu comment?
(hésitant) Mouais, c’est pas comme si je traînais avec ces mecs en studio. Là c’était par le biais d’intermédiaires. C’est cool, c’est un plaisir d’être sur ce titre-là mais après, ça ne va pas plus loin que les 3’30 du morceau.
Dans certains textes, comme sur « Au poste », on entend quelques mots peu communs dans le vocabulaire Suisse courant, comme « rabouler », un peu emprunté à l’argot français, et récemment on te voit intervenir dans les écoles. En gros, Stress, t’es un garçon ouvert, un amoureux des mots, et tu aides à démocratiser le rap…
Moi je pense qu’il est important que les jeunes puissent garder en perspective que l’école n’est pas simplement un truc pour te faire chier, et qu’au bout du chemin, si tu le négocie bien, ça t’amène quelque part. Tu peux vraiment retirer du positif de cette éducation là, autre chose que des heures de colle ou des professeurs qui sont cons. Les outils pour ton futur, il ne faut pas les négliger. Si tu te fais chier à l’école, tu te feras chier toute ta vie. Et une vie, on en a qu’une.
Tu utilises un Vocoder sur l’album, instrument qui était totalement has-been jusqu’à ce que Kanye West le sublime sur « 808 & Heartbreak » en 2008. Selon toi, ce sera quoi l’instrument tendance en 2012?
(rires) Oh putain! Allez j’vais dire l’accordéon!
Le mélange des langues est très présent sur « Renaissance II », on y entend du français, de l’anglais et de l’allemand, parfois ensemble sur le même morceau…
(il coupe) Tu sais aujourd’hui, les gens ils parlent tout. Quand je suis à Zurich, j’entend plein de choses différentes, les vocabulaires sont tellement mélangés. Je pense n’avoir plus trop de complexes avec ça par rapport à avant.
C’est le langage rap, en gros…
Ouais c’est clair, c’est un truc vachement urbain.
Ton énorme succès en Suisse alémanique t’as aussi poussé dans ce sens?
Non, je n’ai pas réfléchi comme ça. Ca ne sert à rien de se limiter. Si un truc te vient en anglais, vas-y, lâche toi.
Sur « Saturé », Stress en a marre, il est à bout, il cache son poing serré. La meilleur mort, pour un artiste, c’est sur scène non? Exploser en plein vol…
Ah ouais! Ce serait pas mal ça! Ce serait cool! Pas se faire buter hein, mais exploser.
Propos recueillis par Gyslain Lancement
« Renaissance II » disponible en CD (Universal Music Switzerland)
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