Le rap Suisse fait partie des seconds couteau. Mais comme dans tout, il y a quelques exceptions qui confirment la règle. CFA en est une. A la manière d’un roi du hold-up, CFA a besoin de temps, et au vue de la qualité de ses derniers sons, ce n’est pas forcément quelque chose qui s’entend. A lui seul, il est en quelque sorte la raison d’être du rap Suisse, sûrement parce qu’il a grandi loin d’ici. Entre légitimité et sincérité, rencontre avec un artiste en guerre contre la logique vicieuse du marché.
CFA, on se connait un peu, et moi je te range plutôt dans la catégorie des rappeurs conscients, combatifs…
En fait le gros problème c’est que j’ai toujours refusé de me mettre dans une case. Je n’ai pas envie de le faire. Si je commence à rentrer dans ce jeu-là, j’ai peur que ça fausse les attentes de mon public. Moi je veux pas que l’on me considère un jour caille-ra, un jour ghetto… Je suis un homme avant tout, un homme avec des sentiments et je veux que ce soit ça ma musique. Que je sois en colère, malheureux, amoureux, je veux que les gens le sachent, le ressentent. Ma musique, c’est la vie. Artiste de la vie, c’est comme ça que l’on peut me décrire de la meilleure façon.
Mais l’histoire du rap a montré qu’être un artiste conscient est plutôt un gage de qualité, de durabilité, non?
Je n’ai rien contre le rap conscient, comme je n’ai rien contre le rap ego-trip. Je sais faire l’un et l’autre, mais encore une fois, dans le rap, on nous colle trop facilement des étiquettes. Moi, je n’ai pas envie de jouer le dur pour jouer le dur. Les étiquettes me dérangent, et dès que l’on me parle de ce genre de trucs au niveau de ma carrière, je fais exprès de tout faire capoter.
Mais tout ça ne t’empêche pas d’écouter aussi bien du Oxmo Puccino que du Rick Ross…
Exactement. Et j’irais même encore plus loin! Je peux écouter du Oxmo et du Rick Ross comme du Booba, du Marvin Gaye, du Bob Dylan ou du Joe Dassin! Je m’inspire de tout en luttant contre les catégories.
Alors tu vois plutôt la catégorie comme une faiblesse?
Non, pas forcément, c’est juste que ma musique à moi, elle est instinctive. C’est le sentiment du moment. Par exemple, j’ai écrit un titre récemment, un truc space que j’avais commencé il y a deux ans mais qui ne venait pas. Les bases ont été posées il y a longtemps mais le texte est sorti en vingt minutes, en deux claquements de doigts! Il a fallu qu’il murisse pour s’écrire presque instinctivement. Mais mûrir prends du temps, c’est assez hors format, parce que tu vois, moi je suis contre les artistes qui sortent des albums tous les six mois. Entre nous, ces cinq dernières années, il n’y a pas eu un seul disque qui soit sorti et que l’on peut considérer actuellement comme un classique du rap. Et moi, mon ambition, c’est de faire un classique.
Pourquoi?
Parce que les gens sont dans une logique productive exacerbée, le marché du disque est devenu comme un mcdo aux heures de pointe. Et moi, je ne me reconnais pas dans tout cela.
CFA, tu as été signer chez une major, mais après tout ce que tu me dis, sur ta volonté d’être complètement toi-même, tu ne crois pas que cela peut être à double tranchant? Du genre, sois un rappeur et tais-toi…
Tout d’abord, je voudrais juste préciser que mon prochain projet sortira en indépendant, ça collait beaucoup mieux avec ma façon de travailler. Les majors, (il soupire), c’est comme un mcdo, il faut enchaîner, enchaîner… C’est surtout au niveau de l’intrusion. J’ai rencontré et côtoyé pas mal de gens qui veulent s’introduire dans ton travail, au risque de vouloir faire basculer tes propres convictions. Mais avec CFA, ça ne marche pas. Après, moi, je n’ai aucun problème avec les maisons de disques, tant que l’on ne m’oppresse pas. Si l’on te force à faire un son contre nature, comment peux-tu l’assumer? Et même si un remède miracle existe, moi il ne m’intéresse pas, je préfère croire totalement en ce que je fait, en ce que je pose. Je ne suis pas un mec pressé. Et puis je me fous des tendances, je ne ressens pas le besoin de dire des trucs genre « fuck la police ».
Tu sais que pour moi tu seras toujours un combatif, et ce depuis le début de ta carrière où déjà, tu m’avais confié vouloir vraiment différencier le rap du hip-hop. Il en est où ce combat aujourd’hui?
Avec le temps et au fil des rencontres, je peux dire qu’aujourd’hui je suis un amoureux du rap. Je suis un fan de rap, je kiff le rap. Mais avant tout, je veux être un rappeur qui fait de la musique. Il est important de bien saisir la subtilité, au niveau du partage des émotions, de la sincérité. Je différencie cette façon de faire de celle d’un MC qui est souvent là pour distraire et se la raconter. Rap et Hip-hop sont communicatifs, mais pas de la même façon. J’essaie aussi d’avancer avec ces deux formes musicales, tantôt ombre, tantôt lumière.
Mais en comparant tes débuts sur « Cocktailmuzik » (2010) et tes derniers titres plus ouverts, on remarque que tu passes du Hip-hop au rap dans un cheminement logique…
(il coupe) Disons que mon côté sombre m’a fait passer dans la lumière, et grâce à ça aujourd’hui, je n’ai qu’une envie, c’est de proposer une musique sincère. Tu sais, quand ma musique n’est pas bien , je ne suis pas bien, et vice et versa. Un artiste travaille tout le temps, en terme de flow, en terme de texte… C’est juste pas calibré comme une journée de bureau. Et c’est justement ce qui oppose régulièrement la créativité des artistes à la bureaucratie de ceux qui essaient de les gérer. Mais à la fin crois-moi, c’est le rap qui gagnera.
Il y a quelques mois, tu m’avais confié ton envie de t’éloigner du rap traditionnel, tu semblais un peu perdu mais avec la conviction de croire au rap d’hier pour faire évoluer celui d’aujourd’hui…
Exactement. Musicalement, c’est pas évident en 2012, pour un rappeur, d’avouer ses sentiments. On m’a souvent reproché de trop parler d’amour, tu vois ce que je veux dire? J’ai pris la remarque comme elle est venue, j’ai réfléchi sur ça et ça m’a amené à une seule conclusion: c’est de ça dont j’ai envie de parler. Les productions léchées, douces, en ce moment, me parlent plus que les instru tendance boum-boum dirty.
J’ai découvert récemment tes trois dernières productions (« Arkham city », « Mordor » et « Copperfield ») qui sont présentées comme des faces B alors qu’on y retrouve un CFA très autobiographique…
En fait, c’est assez dingue. Sur « Mordor », pleins de fans m’ont mis la pression! A la base, ce titre est un freestyle, une face B, mais les gens l’ont trouvé excellent! Du coup, je dois faire encore mieux pour l’album. C’est à partir de là que je me suis dit: « et si les faces B étaient meilleures que les faces A sur le prochain disque? » Je dois jongler avec ça, je me pose beaucoup de questions, et les questions, ça prend du temps. Le problème? C’est que du temps, je n’en ai pas. Alors le plus gros de mon travail est de m’exprimer au mieux, d’être assez clair au niveau des lyrics et de la mélodie. Mais au final, avec le temps et l’expérience, tout va s’arranger.
Mais quand même, on a l’impression que la Suisse, le pays, a du mal à inspirer les rappeurs, que les artistes souffrent beaucoup des comparaisons…
Non mais alors là je crois que tu lis en moi, sérieux. Moi, je pense à ça tout le temps. Je m’amuse souvent à comparer la vie que j’ai eu au pays (le Cameroun) et la vie que j’ai en 2012 ici en Suisse. Ca n’a rien à voir. Beaucoup de rappeurs suisses parlent de galères du genre l’alcool, la défonce, parce que dans cette société, si tu es faible, tu n’as que ça. Moi, je n’ai pas envie de parler de ça, alors dès que je le peux, je me casse, je vais voir ailleurs. Mon écriture est plutôt rétroactive. Je pars à l’étranger, je vis, et c’est quand je reviens que les choses remontent, alors je les écris. Il me faut vivre ailleurs puis revenir pour ensuite sortir des textes. J’aime aussi prendre tous les avis en considérations, même les mauvais, car ça m’a fait avancer, m’améliorer.
Quant au rap Suisse, il en est où selon toi?
Honnêtement, le rap Suisse, je n’en écoute pas du tout…
C’est assez symptomatique ce que tu me dis-là…
Grave! Mais tu sais, il y a certains groupes, quand je les entend, j’entend IAM. Alors, si c’est assumé, je veux bien, sinon je passe mon chemin. Le rap Suisse n’a jamais réussi à se forger une identité sérieuse. La plupart se contente de copier sans s’affirmer; alors toi, quand t’essaies d’imposer ta personnalité – ça prend du temps hein! – et que ça marche, tu es le roi. Je respecte malgré tout de nombreux artistes suisses mais ce que je veux que l’on comprenne, c’est que je n’ai jamais eu besoin des autres pour m’affirmer.
Intéressant dans une période où l’on sent que les rappeurs n’ont jamais eu autant besoin des autres qu’au jour d’aujourd’hui…
J’ai la chance d’être bien entouré chez SK Music, mais lorsqu’il s’agit de rap, de son, je me mélange très peu. Artiste solo, ça n’est pas facile, des fois tu en chies pour pondre trois couplets mais au final, ça te ressemble et tu peux en être fier.
CFA, tu es né au Gabon mais tu as grandi au Cameroun. La chose dont tu es le plus fier, à 23 ans, c’est quoi? Voir ton disque dans les magasins (même si l’on connait l’état du marché), pouvoir vivre de ta musique?
Ma plus grande fierté? (il hésite)… Je n’ai jamais réfléchi à ça en fait, et je crois même que l’on ne m’a jamais posé la question. Non, la meilleure chose, c’est mon parcours, la vitesse à laquelle j’ai franchi les étapes. On m’a mis des bâtons dans les roues mais j’y suis arrivé. C’est l’histoire de la vie, il faut y croire, coûte que coûte. C’est une conviction qui se transforme en fierté.
CFA, en plus d’être conscient et combatif, tu es un nostalgique, un sentimental. Alors, selon toi, qui est le rappeur qui a le plus flingué sa carrière?
Avec ironie, et étant donné ma personnalité, je vais dire que ce sera moi. Car si pour percer il faut que je leur ressemble, c’est mort. Spartiate or die.
Propos recueillis par Gyslain Lancement
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