Laissant le temps de la frénésie passer, je m’atèle enfin, plus d’un mois après sa sortie, à la lecture du nouveau volume de Blacksad. Série devenue instantanément culte, il aura tout de même fallu 5 ans pour voir arriver ce L’enfer, le silence. C’est vous dire avec quelle impatience moi et plusieurs milliers d’autres lecteurs attendaient ce nouvel opus des aventures du coriace chat noir.
Au premier coup d’œil, on sait déjà qu’on va avoir droit à une déculotté bien classique mais toujours aussi efficace, dans le même esprit qu’Arctic-Nation, deuxième et meilleur tome de la série. La couverture est en effet sublime et se démarque sans mal du reste des piles des étalages surbookés. Ce bleu foncé nous annonce un drame profond et John Blacksad sombrant inconscient dans cette eau épaisse rajoute encore une couche de mystère, comme si la BD elle-même nous murmurait à l’oreille: ouvre-moi et tu verras. Et quant au titre, je pense qu’il se passe de commentaires.Bref, me voilà enfin bien assis, avec une bonne heure de calme devant moi et cette curiosité bleutée entre les mains, objet de tant de convoitises et d’attente.
45 minutes plus tard, je contemple la quatrième de couverture. Ce crâne d’un blanc spectral me fixe sans arrêt et ce à paraître : tome 5 m’interroge plus que jamais.
Le premier choc (et le plus identifiable) est le graphisme. Guarnido n’a rien perdu de sa maestria, loin de là. Si les personnages restent toujours aussi bien dessinés et surtout incroyablement animés d’expressions vivantes et crédibles, ce sont les arrière-plans et la composition qui témoignent d’un progrès plus que certain. On dénombre plus d’une dizaine de plans larges complexes et fournis, qui nous demandent plusieurs minutes d’attention pour pouvoir les décoder, allant de l’expérience vaudou à la garden party, en passant par une rue en pleine heure de débauche ou encore une hallucination sidérante. On notera surtout la pleine page du mardi-gras (page 34) qui nous saute littéralement à la figure et qui nous propose au passage un petit Où est Charlie plus que bienvenu. Ce qui est également flagrant ici, c’est l’amour des auteurs pour La Nouvelle-Orléans. La ville habite chaque planche de l’album et devient même un personnage à part entière, grâce aux sublimes et multiples panoramas qui jalonnent l’intrigue. Enfin, les couleurs sont toujours au rendez-vous et créent une ambiance unique et singulière à chaque scène, formant une unité bien précise dans laquelle on s’immerge complètement.
Après le graphisme, le second choc vient du scénario, non pas de l’histoire en elle-même, mais la narration. L’intrigue est en effet assez simple: le patron du meilleur label de blues de la ville recherche désespérément son meilleur pianiste, héroïnomane et disparu sans laisser de trace. Blacksad arrive à ce moment-là et part sur la piste de ce musicien plus obscur que prévu. On apprendra alors vite qu’on a plus affaire à des vieilles querelles qui rongent, à des sentiments frustrés et à une vengeance trop longtemps endormie, plutôt qu’à une simple intrigue classique de polar. Le premier sentiment que l’on a en refermant cet album, c’est l’impression de n’a pas avoir pris toute la mesure de l’histoire, de ses tenants et aboutissants, comme si on avait lu trop vite sans prendre garde au texte sous-jacent. On se dit qu’on est passé à côté de quelque chose, que l’on n’a pas tout compris. La première explication vient sûrement de la narration directement. Canales a choisi de fragmenter son scénario et de ne pas suivre une ligne temporelle fixe. Au lieu de ça, il mixe les ambiances et les évènements pour mieux nous embrouiller et pour finalement nous mettre dans le même état que Blacksad, perdu dans cet univers sombre de musique et de secrets inavoués où personne n’est vraiment ce qu’il semble être. Ensuite, l’écriture et le rythme des scènes nous déroutent encore un peu plus. Allant tout de suite à l’essentiel, les dialogues et les informations véhiculées sont brefs, intenses et uniques, requérant une fois de plus toute notre attention. Les transitions entre les scènes peuvent également nous faire perdre pied, car on passe rapidement d’un évènement à un autre sans avoir eu le temps de digérer la scène précédente.
Certains considéreront que Canales n’a pas assez bien maîtrisé son rythme de narration et qu’il aurait dû, soit faire cette histoire en deux tomes ou bien en faire un 80 pages. Et ils auront raison, mais seulement si vous vouliez une histoire classique racontée avec les mêmes ficelles que les précédents tomes. Pour ma part, je suis allé au-delà de cet aspect déroutant du prime abord, pour voir cela plus comme un progrès stylistique, que comme un avachissement des auteurs. J’avais peur que Guarnido et Canales nous resservent la même recette, qui avait d’ailleurs révélée ses multiples failles dans Âme Sombre (Tome 3), en surfant sur la vague du succès, toujours aussi haute 5 ans après. Au lieu de ça, ils se sont aventurés sur des chemins incertains qui les ont finalement menés vers un renouveau de leur style et de leur série. Que ça plaise ou non, là n’est pas la question. Blacksad 4 se réinvente et rien que pour ça, il vaut largement la peine d’être lu et même relu pour bien fixer tout les recoins de l’intrigue.
En tout cas, les ventes ne démentent pas l’engouement que Blacksad provoque, puisque ce volume quatre caracole dans les meilleures ventes de BD depuis plus d’un mois maintenant. J’espère seulement que le tome 5 ne tardera pas autant que le 4, car ce dernier ouvre plusieurs pistes d’intrigues concernant le personnage de Blacksad et ne les clôt pas. On s’attend donc à des révélations sur la nature et le passé du fameux chat inspecteur qui, il est vrai, n’a jamais vraiment donné beaucoup de lui-même, se contentant d’être le personnage stable et rassurant, laissant aux différents protagonistes le soin des névroses, vengeances et autres passés enfouis débordant de secrets souvent inavouables.
Alors encore une fois, n’hésitez à découvrir ce nouveau tome d’une série mythique qui au lieu de se reposer sur ses lauriers prend le risque d’aller voir ailleurs, tout en gardant une qualité sur tout les niveaux, chose de plus en plus rare dans la BD mainstream.
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