Chaque lundi, aux alentours de 16h30, votre humble serviteur Florian De La Fnac chronique un manga de son goût: une découverte, un classique ou une curiosité.
Cette semaine : Otakuland de Walder, chez Delcourt.
Cette semaine, je ne vous parle pas d’un manga, mais d’une BD déguisée en manga. Entièrement réalisée par un jeune auteur genevois, Otakuland est la curiosité de ce début d’année, un OVNI stylisé, intelligent et prenant.
Dans un Tokyo contemporain et plus cosmopolite que jamais, trois amis vivent leur vie d’otaku chacun à sa manière. Yota est passionné de manga, d’anime et de tout ce qui s’en rapproche. Il vit entre son minuscule appartement et les manga-shop, dans un univers qu’il s’est construit depuis son plus jeune âge. Sa passion est sa respiration. Koi, lui, est livreur de films pornographiques et sillonnent les rues de la ville. A chaque porte qui s’ouvre, il découvre une personne, un regard, une attitude. Ce sont les relations entre les gens qui occupent la plupart de ses pensées. Il essaie de comprendre comment cela fonctionne. Enfin, Jibun est graphiste-illustrateur et passe ses journées devant un écran à travailler sans relâche, rêvant d’une trêve et de repos. Vivant dans une réalité souvent aliénante, ces trois personnages s’en évadent d’une façon ou d’une autre, mais ils ont tous en commun un endroit calme, coloré et fantastique où personne ne les juge : Otakuland !
L’otaku est une personne passionnée de jeux-vidéo, de manga, d’anime et de produits dérivés, qui vit le plus souvent en retrait de la société qui l’entoure. Souvent présenté comme péjoratif, ce terme est galvaudé depuis quelques années, à cause de documentaires télévisuels, n’illustrant que le côté maladif et asocial de ces personnes. Bien sûr, ces caractéristiques sont à prendre en compte, mais ils ne constituent en aucun cas toute la définition de l’otaku, bien au contraire. L’image occidentale de l’otaku peut ainsi se résumer à une personne maladivement timide, esseulée, renfermée sur elle-même et vivant dans un univers fantasmagorique, souvent aux aspects enfantins. A vrai dire, cette description correspond plus à al pathologie psychosociale reconnue des hikikomori, qui s’enferment littéralement chez eux et s’isolent complètement du monde extérieur. Cette confusion est très fréquente et elle entache malheureusement l’image de l’otaku. Et c’est justement à cette fausse idée que Walder s’attaque indirectement dans Otakuland.
Fier d’en être lui-même un, il fait évoluer ces trois otaku avec une humanité et un amour évident. Pour lui, ce sont avant tout des êtres à part entière, avec leurs propres peurs, habitudes et schémas psychologiques. L’un se pose des questions sur l’amour et sur le sexe, l’autre a du mal à comprendre les gens qui vivent le métro-boulot-dodo. Des interrogations légitimes et communes. On arrive donc rapidement à se familiariser, voir s’identifier à ces personnages qui, finalement, sont comme n’importe lequel d’entre nous. Walder nous dit quelque soit le moyen d’évasion, chacun est libre de choisir le sien : le cinéma, les livres pour certains, les mangas et les anime pour les autres. Il redonne ainsi aux otaku leur humanité et leur décolle cette étiquette de freaks.
Et si le fond est tout à fait louable, la forme l’est d’autant plus. Utilisant une narration simple et lisible, Walder se sert des pensées de ses personnages pour nous immerger dans leur monde. Le matériau est donc brut et direct. Là où certains pourraient y voir de la naïveté ou de l’intellect, je préfère y voir de l’instinct. Les thèmes abordés sont universels et ont été traités mainte et mainte fois au cinéma ou dans la littérature, mais rarement de manière aussi dépouillée que dans Otakuland. Car ces thèmes sont d’habitude plongés dans un récit ficelé, parfois complexe, mais toujours avec un sous-texte. Ici, Walder va à l’essentiel et expose ces pensées telles quelles, sans peur d’être jugé. Ce qui donne à l’intrigue une authenticité certaine et une véracité rare. Walder sait de quoi il parle et ça se voit, ça se sent.
Puis, bien sûr, il y a le graphisme. On voit immédiatement que Walder a une patte, un style. Certes influencé par le trait japonais, il ne se contente pas reproduire, mais créé quelque chose de totalement nouveau, un mélange hybride et étrange jamais vu auparavant. Puis, les couleurs arrivent et finissent de nous convaincre. Punchy et nuancées, elles ressemblent aux néons des boutiques tokyoïtes qui occupent chaque mètre d’espace urbain. On s’en prend plein les yeux, on est parfois déstabilisé, mais toujours vers le bon côté.
Deuxième album de ce jeune auteur genevois, Otakuland peut facilement être qualifié de rafraîchissant et bourré d’ondes positives. Après un premier aspect étrange, fun et fantastique, le récit se révèle être psychologique, défoulant et très humain.
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