Il y a tout juste vingt ans, un bébé dans une piscine allait provoquer un raz-de-marée planétaire. « Nevermind », deuxième album de Nirvana va, à coup de vingt millions d’exemplaires vendus, ancrer le mouvement grunge dans l’histoire. Sur ce disque, le groupe de Seattle va aussi désosser trente années de rock pour n’en garder que mycoses et pourrissement, le tout sur des riffs hard-rock mal accordés et dans un esprit punk démesuré. Ajoutez-y un style soft/hard à la Pixies et une chaîne de télé qui mise tous ses jetons dessus – le MTV de l’époque avait le monopole dans l’avènement du clip musical – et vous obtenez un mythe, un Nirvana.
Sa tête pensante, Kurt Cobain, fils de ploucs programmé à une vie de bûcheron homophobe allait décider très tôt de prendre son existence en main. Une jeunesse en marge des autres gamins à rester cloîtré chez un oncle hippie en écoutant les Beatles, les Monkees et les Stooges vont accoucher d’une icône torturée respirant le punk-rock comme personne et destinée à intégrer le club des 27 (rejoint depuis peu par Amy Winehouse). Tel un Woody Guthrie après le passage d’une tornade Punk, on pouvait lire sur la guitare à Cobain: « vandalism is as beautiful as a rock in a cop’s face ». Si le pavé atterrissait souvent sur la tronche des hommes en bleu, il a surtout fait des vagues dans la mare grunge de Seattle avant d’immerger les jeunes dans un courant d’inadaptation au monde où ils se sont reconnus sans gêne. Avec trois disques, le groupe dispose fatalement d’un répertoire court mais dont on n’a jamais su tarir la substance. C’est sûrement à ça que l’on reconnaît les acteurs majeurs du rock. Nirvana, en parallèle de son homicide involontaire du hard-rock, posait à travers Nevermind un constat à priori obsolète (à moins que ce soient nous qui ayons vieilli): il n’est plus obligatoire de faire de la merde pour se faire entendre de tous. L’album, sorti de son contexte, c’est douze titres burnés, une façon exemplaire de noyer son mal-être dans une tempête sonore, de faire des dérives personnelles et banalement humaines une légende. A part peut-être en live ou le « pogo » est roi, les mélodies de Nirvana ne se voient jamais envahies par le brouhaha. Cette différence donne à Nevermind une existence pop clairement indépendante, une équation à trois qui peut se résoudre ainsi: Beatles+Ramones+Black Sabbath (le MTV unplugged en sera la preuve suprême), égratignant à travers certains titres tout ce qui fait la « beaufitude » des USA. La messe est dite. Mais dieu que ce fut difficile – les mass-médias s’emparant de « Smells like teen spirit » – de demeurer à l’aise, coincé entre des idéaux punk détesteur de groupes à succès et une image de leader assouvi du grunge hurlant avec fermeté que si radios et tv diffusaient plus de bonnes choses, les gens auraient meilleur goût. Vingt ans plus tard, le constat est sans appel: on a tous écouté Nirvana au moins une fois dans notre vie.
Il est peut-être là le fameux bug de l’an 2000. C’est vrai, le nouveau millénaire passé, l’histoire du rock n’a plus connu de groupe aussi pétaradant. Et pourtant, aujourd’hui, les moyens ne manquent pas pour se faire connaître. Ce qu’il manque aux formations qui jouent sur trois accords? Un Kurt Cobain, un personnage qui appartient aux génies, aux élus, aux guides d’une génération – c’est ça qui l’a tué. Chevalier en croisade contre le machisme ordinaire et le cliché rock, c’est pressé comme un citron, dépossédé de sa musique et avide de simplicité que Cobain se fera sauter le caisson un matin d’Avril 1994. Depuis en Rock, plus rien, ou presque… Un conseil aux rockstars en herbe: vivre en héro(s) tue.
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