Ce soir nous étions tous réunis pour assister à la grande messe noire de David Eugene Edwards entouré de sa cohorte d’anges déchus, avides de justice, inspirés par la vengeance, tout droit sortis d’évangiles détraqués, hantés d’oraisons obscures, tissant de leurs mains une tempête sonique ne laissant derrière elle que tourment et dévastation. La sombre prophétie devant s’accomplir avait pour nom Wovenhand.
Mais avant ce cataclysme annoncé, une brise d’un pâle matin d’hiver scandinave devait nous apporter un ces moments de musique que peu étaient préparés à recevoir. Le norvégien, Torgeir Waldemar, après avoir bien précisé non sans humour, que le sang, la rage et la destruction, ce serait pour un peu plus tard, plongea Fri-Son dans une atmosphère intimiste et introspective avec le poignant Across The River, chanson de son nouvel album prévu pour début octobre. Son folk mélancolique d’une beauté brute, sans concession, rappelant les temps glorieux de Crosby, Stills & Nash, Clark ou encore Young que seul trahissait un léger accent nordique, nous serra la gorge, frappés par la si grande force de conviction d’un artiste investi.
Puis avec Come To Me sur fond de séparation amoureuse et du manque qui s’en découle, il ne baissa pas moins en intensité, avant de déclarer d’un air un peu amusé : « As you heard in my songs, I’m a very… happy man. There are two kinds of people, those who are happy when they listen to happy music and some like me that become very happy with very unhappy music ». L’atmosphère ainsi un peu détendue, il repartit avec Bottom Of the Well, un nouveau titre, puis ce fut autour de Streets écrit pour son EP. Arrivé au terme de son concert, il ne put s’empêcher de relater ce fait étrange : « Last song is called Take Me Home. When I released it on my EP, another group released an album with the same title… I never thought before I could ever have any connection with One Direction… So now I have to handle with it… » Eh oui parfois, la vie d’artiste… c’est dur… shit happens. Toutefois ce Take Me Home, en forme de requiem (pour One Direction peut-être ? Enfin ?), acheva de conquérir le public ému par l’éloquence inattendue de cet artiste attachant.
La douce morsure de l’hiver scandinave devait donc laisser la placer à un vent brûlant et électrique, venu d’un ouest lointain, tourbillonnant parmi les murs d’une ville fantôme, sifflant sur les croix du cimetière s’opposant à l’ultime repos de ses derniers habitants. Le terrible Hiss éclata en dies irae, appelant de ce sifflement une nation lointaine avec ses chevaux aux sabots de silex et les roues de ses chars comme des tourbillons, châtiment de ceux qui firent lumière, les ténèbres, justifiant le coupable en échange d’un présent (Ésaïe 5.20-30). Wovenhand s’érigea en tumulte de cette colère divine, théâtre d’un riff galopant et implacable, menés par leur « Commandatore » livrant la sentence avec la verve d’un Johnny Cash à ses heures les plus sombres et l’aura incantatoire d’un Nick Cave en pleine transe démonique.
Le ton était donné, marquant le tournant heavy et dense de leur dernier opus, Refractory Obdurate, embrasant au napalm les titres des albums précédents à l’instar de l’hypnotique Closer ou l’étonnant Maize contant les exploits de Sanson contre les Philistins, sur fond d’incantation indienne sans parler du songeur Horse Head Fiddle souvenir du temps des Sixteen Horsepower, longue lamentation rappelant l’igil de la lointaine Mongolie, suspensif et atmosphérique explosant en un blast de guitares, préparant le terrain pour un King O King fulgurant.
Après cette digression vers les temps passés, l’orage repris de plus belle s’abattant dans le fracas de Masonic Youth, puis El-Bow avant d’arriver sur Corsicana Clip aux sonorités folk émaillées par le banjola (un Pollmann de 1890) de David Eugene Edwards, esquissant un équilibre mystique entre grandiloquence sonore et élégance acoustique, réaffirmé avec force et rébellion dans The Refractory. Puis ce fut à l’impitoyable Long Horn de rentrer en scène, avide de régler ses comptes. Field of Hedon ne devait pas non plus permettre d’espérer des temps plus apaisés, quant à la sensuelle mais tentatrice Salome, on lui demanda juste »dance away ! », avant d’être balayée par la toute-puissance de Good Shepherd en guise de clôture. Suite aux rappels nourris d’un public conquis, Kicking Bird et Glistening Black vinrent compléter un concert à l’intensité magistrale.
Force est de constater que la musique de Wovenhand ne laisse personne indifférent. Elle peut parfois créer une réaction épidermique par le caractère investi et biblique du discours ainsi que par toute la violence qui se dégage dans cette quête de justice et de rédemption. Carrefour d’influences culturelles sur fond de country alternative aux relents de guitares saturées, elle tisse en une couronne d’épine le patchwork du monde qui nous entoure. Croyants ou non elle nous pousse à l’introspection, emplie de ce qui fait la qualité du grand rock : la révolte.
Sites :
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