Une créativité sans restriction
Moins d’un an après Axiom qui s’était révélé comme un véritable ovni dans leur discographie, les confortant une fois de plus au sommet de l’avant-garde artistique, le collectif Londonien revient tambours battant avec un nouveau projet musical.
La démarche change ici quelque peut que précédemment car Axiom est était relié à l’image et avait besoin d’une certaine unité stylistique jouant sur les atmosphères du claire obscure. Avec Restriction c’est l’éclectisme et la puissance créatrice de la formation qui est mis à l’épreuve. Chaque titre a été pensé comme un numéro clos pouvant faire office de single à chaque fois et demandant une spontanéité extrême afin d’en extraire une quintessence unique. Un défi de taille mais relevé avec un brio hors du commun ballotant l’auditeur dans l’espace sonore d’une piste à l’autre et lui transperçant le cœur de différentes émotions. Toutefois cette grande diversité est aussi un peu la faiblesse de l’album par son manque d’unité et de concept qui a tendance un peu à désorienter au fil des morceaux et il faut souvent plusieurs écoutes pour entrer totalement dans les différents univers. D’un autre côté ce manque d’immédiateté est un des charmes non négligeable de ce patchwork qui doit se laisser un peu apprivoiser pour en saisir les finitions et les beautés qu’il recèle.
Musicalement les ingrédients restent les mêmes qui ont fait la marque de fabrique d’Archive. La base trip hop est toujours bien présente même si elle reste parfois tapie dans l’ombre avant de surgir. Sur ce socle se collisionnent rock progressif, électro et une pointe pop un peu inhabituelle mais qui ne tourne jamais au mainstream tant elle est transcendée par les autres éléments. Une chose frappe particulièrement au fil des écoutes, c’est cette capacité à donner ou non à l’auditeur l’objet de son désir inconscient suscité par les effets de tension, de manque ou de suspense subtilement placés et étirés au point d’ébullition. Quelques soit les genres c’est la marque du talent en musique que d’arriver ainsi à refaçonner un univers à partir d’éléments familiers, jouant avec les attentes qu’ils suscitent.
L’album à la loupe
Cela attaque très fort avec Feel It et sa rythmique tribale ouvrant l’album. Invocatoire dans les couplets la voix de Dave Pen implore l’âme afin de l’en extirper de sa vacuité avant de lui infliger de véritables électrochocs à chaque « Feel it » du refrain scandé dans l’espace et transperçant un chant de guitares toujours plus intense et magistral. Flux et reflux s’alternent grandissant tour à tour avant d’aboutir sur une coda à percer le mur du son, ramenant l’esprit à la vie par cette douleur salvatrice.
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Quand je disais qu’il n’y avait aucun lien entre les différents titres de Restriction, je dois bien avouer qu’il y a des petites exceptions. La première survient avec l’éponyme, ironique, hypnotique et minimaliste au texte martelé par Dave Pen, se révoltant brusquement dans un nuage bruitiste à l’arrivée du ver « Restriction, restriction, restriction » pour retomber et repartir toujours plus intensément (2ème strophe : rythmique plus dense, 3ème strophe : ajout de l’orgue). Cette évolution en dent de scie aboutit sur un splendide blast de guitare à la troisième apparition de « Restriction… » contré subtilement cette fois par le ver « Distraction, distraction, distraction ». D’abord décalé, ce dernier se pose soudainement en même temps que les « restriction… » pour simplement les dévorer, « panem et circenses » pourrait-on dire pour résumer. Et c’est là qu’arrive cette anomalie : juste après ce blast final on reprend comme au début (le peuple est calmé) pendant quelques mesures puis un riff de guitare surgit brusquement et s’amplifie faisant mine de relancer et là surprise, Kid Corner ! Atmosphère différente, beaucoup plus trip hop, complexe et abrasive, rythmique libérée et évolutive mais exactement le même tempo, ce qui fait que tout s’emboîte parfaitement. Là nous retrouvons l’Archive de nos souvenirs, urbain et électronique, surfant élégamment sur une percussion bousculée par les ruptures portant au pinacle la voix solaire et divine de Holly Martin (un prénom qui lui sied à merveille).
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Irrésistible, elle l’est aussi dans End Of Our Days, véritable supplique se construisant longuement en intensité sur quelques motifs très simples et obstinés. Bercée d’abord par le synthé, rejoint plus tard par la percussion et un chorus, on ne saurait que répondre oui à cette prière, à cette voix qui perce l’âme. S’il ne fallait que retenir une seule piste de cet album, cela pourrait bien être celle-là.
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Des liens sous forme d’un son ou d’une tenue entre les différents morceaux apparaissent aussi à d’autres moments de l’album. Les musiciens d’Archive avaient déjà expérimenté plusieurs fois cette technique de relier les différentes pistes entre elles afin de donner une impression de musique continue. C’était notamment le cas avec Axiom où l’aspect cinématographique demandait l’utilisation d’un tel procédé quasiment entre chaque partie. Pareil dans Controling Crowds où Words On Signs, Dangervisit et Quiet Time sont les trois reliées entre elles. Restriction est donc aussi empreint de ce filigrane qui vient perturber çà et là ce principe de vase clos pourtant énoncé par les artistes eux-mêmes et donc on retrouve des liens similaires entre le suspendu Half Built Houses connecté par un écho qui se prolonge dans Ride in Squares plus noisy et rythmé. Avec Third Quarter Storm, c’est un peu la partie la plus faible de l’album à mon sens car on reste un peu longtemps dans une atmosphère calme et mélancolique qui se remet en mouvement petit à petit dans Ride In Squares. Une à une ces trois pistes sont réellement très belles mais enchainées ainsi, elles s’embourbent un peu dans la même émotion.
Heureusement le voyage repart de plus belle avec le puissant et révolté Ruination, qui fait mine de partir un peu pop sur le motif scandé part Dave Pen. Mais les premières mesures de batterie annoncent que le réacteur trip hop est rechargé et qu’il va nous propulser à toute vitesse, sans même s’arrêter sur le dernier « it’s you » dont l’écho dérive jusque sur le début de Crushed, plus dense et bruitiste mais jouant de la même pulsation, cherchant à oblitérer la ligne vocale en la submergeant dans une tempête sonore.
Même si cela a tendance à se figer un peu sur Black And Blue, froid et rocailleux, à l’image de l’artwork (photo prise en Islande), le périple s’achève de manière magistrale avec le déchirant Greater Goodbye accolé encore une fois à un Ladders serein et chamanique de prime abord, mais explosant dans un cri sauvage et sonore en guise de générique de fin.
Les membres d’Archive le concèdent, aller vers un album sans concept où la musique est couchée brute et ainsi dépouillée est une vraie prise de risque, notamment envers les fans, habitués à une construction musicale très préparée, raffinée et souvent expérimentale. Il faut simplement se laisser prendre par la main et accepter cette mise à nue sans restriction.
On attend les live avec impatience!
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