Ce soir-là, les fans de post-rock allaient être servis. La formation japonaise, Mono faisait un nouveau passage par Fribourg pour y donner généreusement une grande célébration de « wordless music ».
De l’archet au plectre
Mais tout d’abord c’était au tour d’Helen Money alias Alison Chelsey de faire vibrer la première corde, à l’aide de… son violoncelle. Originaire de L.A., elle reçut une formation classique à Chicago. Elle se dirigea ensuite vers le rock d’abord acoustique au côté de Jason Narducy avec qui elle forma Verbow pour en sortir un premier album nommé Woodshed en 1994. Puis le duo s’électrisa rapidement avec le renfort de quelques amis. Alison Chelsey se lança dans une carrière solo sous le nom d’Helen Money en 2007. Son style se dirige beaucoup vers l’expérimental et le minimalisme arrosé au doom metal, amplifiant son instrument acoustique sur une disto et rajoutant des loops piqués à la volée ou préenregistrés. De ce mouvement minimaliste initié par Terry Riley, elle fait extension à des artistes allant de Henryk Gorecky (écoutez la sublime symphonie n°3) en passant par Glenn Branca ou même Swans (que l’on connait très très bien à Fri-Son). Pour le côté amplifié qui pourrait surprendre pour ce genre d’instrument, on ne peut évidemment que penser à Apocalyptica et son orage de décibels, mais on le rencontre aussi dans le jazz chez Esbjörn Svenson Trio où le contrebassiste s’ingénie à se transformer parfois en machine de guerre (Leucocyte).
De son côté c’est vraiment sur l’exploration sonore qu’Helen Money appuie ses performances, déchaînant son plectre sur les cordes dans Rift, son morceau d’ouverture, très saturé et martelé. L’archet quant à lui permet par le legato de faire jaillir de puissants riffs dans Hendrix et Radio Recorders ou de poser les atmosphères plus brumeuses de Every Confidences, bourré d’effets pédale, déployant pleinement les capacités de l’instrument alternant faible ou pleine distorsion. La caisse de résonance au son boisé donne une versatilité hors du commun permettant de passer en un instant d’une teinte classique à un véritable déchainement infernal. Inutile d’attendre de suaves mélodies dans ses compositions, car ce n’est pas ce qu’elle cherche. A l’instar de Beautiful Friends, avec lequel elle termine, c’est un voyage expérimental qu’elle propose aux confins des limites de l’imaginaire où gravitent motifs et strates prêts à s’entrechoquer à tout moment pour libérer le diable de sa boîte.
Helen Money @ De Kreun sur Vimeo. Helen Money @ Vacation Vinyl sur Youtube
Mais c’est maintenant au tour de ceux que nous attendons tous. Les japonais de Mono font pour beaucoup partie des gardiens du temple post-rock aux côtés de Sigur Rós, Godspeed You! Black Emperor, Explosion in the Sky, Mogwai ou encore This Will Destroy You. Le groupe se compose de Takaakira « Taka » Goto (guitare), Tamaki (basse, piano), Yoda (guitare), Yasunori Takada (perc).
Une alchimie entre le post-rock et la musique symphonique
Leurs influences sont très diverses, on y trouve My Bloody Valentine et Sonic Youth pour leur début, de la musique de film, notamment « Breaking the Waves » ou Ennio Moriconne et du classique avec des compositeurs comme Beethoven (mais qui n’a pas été influencé par lui ?) ou Rachmaninov. On pourrait aussi penser à certaines pages de la musique de Chostakovitch (1er mvt 11ème symphonie, atmosphérique et anxiogène, le calme avant la tempête) ou Sibelius (la magique et postromantique 7ème dont la musique s’écoule à travers les forêts finlandaises) ou encore Gorecky pour le côté minimaliste.
Lors de leur premier album, Under The Pipal Tree (2001), leur devise était : « Du bonheur à la matraque, peu importe le temps ni la difficulté du chemin emprunté ». Leur musique, suivant cette mission implacable, comportait atmosphères sereines et lumineuses déchirées soudainement par de puissants chocs telluriques. Puis tout en raffinant leur sonorité ils se dirigèrent au fil des épisodes suivants vers des buts plus grandioses d’une extrême dramaturgie et mélancolie abandonnant un peu cette furie psychédélique des débuts, sans en perdre l’amplitude sismique. Ils avaient fini par se muter en une formation orchestrale de rock comportant notamment des cordes pour y ajouter des teintes classiques.
Helen Money avait d’ailleurs parfois participé à l’aventure notamment pour Walking Cloud (2004) et Are You There (2006). S’adjoignant le concours du Wordless Music Orchestra pour leur live à New York en 2009 (Holly Ground – 2010), ils avaient célébré leur 10ème anniversaire dans une légendaire apothéose.
Ce qui a toujours perduré chez eux, c’est cette immense capacité à susciter de l’émotion chez l’auditeur, et sans l’aide de paroles, vérifiant l’affirmation que « la musique commence là où s’arrête le pouvoir des mots » (Wagner). Arrivant à une sorte d’apogée avec For My Parents (2012), encore au côté du Wordless Music Orchestra, les musiciens de Mono avaient senti dès lors un besoin de se recentrer vers un jeu plus intimiste et plus souple repartant de leurs origines. De nombreuses questions sur le chemin à emprunter se posèrent alors :
Moins de cordes ? Pas de cordes ? Plus orageux ? Plus apaisé ? Plus lumineux ? Plus sombre ? Les réponses semblèrent alors se dessiner dans leur nouveau double album Last Dawn / Ray Of Darkness (2014), ambivalence entre espoir et désespoir, entre joie immense et douleur inexprimable, entre amour et perte.
Lux ex tenebris
C’est donc dans cette atmosphère plus chambriste et épurée que qu’ils débutent leur concert avec Recoil, Ignite, d’abord très recueilli par son motif descendant en mineur semblant hésiter et errer sans but, se heurtant parfois avec le trémolo de la deuxième guitare, caractéristique de leurs compositions. Tamaki à la basse se balance gracieusement bercée par une rythmique presque tribale. La tension s’élève petit à petit avant un premier allumage pour s’affaisser et remonter ensuite vers le grand mur sonore emplit de distorsion. Puissant, dark et minimaliste c’est aussi le morceau d’ouverture du côté obscure de leur nouvel opus, Ray Of Darkness.
Ils entonnent ensuite Unseen Harbor (For my parents), mélancolique de prime abord par sa mélodie de guitare accompagnée par le piano, mais laissant apparaître une lueur d’espoir après un premier sommet dramatique. Un petit fragment plonge l’auditeur dans une magie atmosphérique irréelle transcendée par le gong avant de se diriger vers chorus final épique. Cet album avait été écrit pour leurs parents afin de leur faire découvrir leur musique. Il paraît qu’il n’y a pas un jour sans que ceux-ci l’écoute. Kanata (Last Dawn) pose alors un baume apaisant et intimiste enveloppée d’une brume mélancolique, semblant chercher la lumière sans pouvoir l’atteindre. Il faudra passer par le majestueux Pure As Snow (Hymn To The Immortal Wind) avant de l’obtenir, véritable panorama arctique théâtre de la naissance d’un blizzard où s’entrechoquent fuzz et wind effect.
Viennent alors les beaux jours célébrant l’accalmie du solstice d’hiver lorsqu’Éole retient flots et vents afin qu’aucune tempête ne puisse troubler Halcyon (Walking cloud…) donnant ainsi la vie à un magnifique chant sauvage.
«…Au milieu de l’hiver, pendant sept jours calmes et sereins, l’Alcyon couve les tendres fruits de l’hymen dans des nids suspendus sur les mers. Alors le nautonier ne craint point les tempêtes. Éole enchaîne les vents, il les retient au fond de leurs cachots, et veut que ses petits-fils puissent éclore sans péril sur des flots unis et paisibles. » (Ovide)
Where We Begin (Last Dawn) perdure cette atmosphère lumineuse, imbibée par le synthé de Tamaki, soutenue sur chaque temps par Takada entrainant les deux guitaristes dans un gigantesque crescendo, construisant petit à petit le mur sonore. Puis on revient vers le contemplatif avec Ashes In The Snow (Hymn To The Immortal Wind) et son introduction venteuse que vienne percer les glockenspiels s’effaçant à l’arrivée du thème. Après un premier sommet orageux, la tension redescend pour préparer une coda ultime et volcanique atomisée par les crashs de Takada dans un torrent volcanique et électrique déversé par Goto et Yoda. Pour terminer en apothéose, c’est Evertlasting Light du même album qui sert de clôture. Une belle introduction au piano soutenue par les guitares nappant le paysage gracieusement avant de se déchainer dans une jubilation sauvage digne d’un final symphonique déclenche la clameur du public, les remerciant ainsi pour ce grand moment de musique.
Pour moi ce fut mon premier concert de Mono et n’ayant ainsi pas de point de comparaison avec d’autres expériences et je l’acceptai tel quel, magnifique et introspectif, un voyage des ténèbres vers l’espoir. On me fit part toutefois qu’ils avaient pu être plus explosifs et tourmentés, que cela jouait plus fort avant. Manifestement cela n’était pas le but qu’ils s’étaient fixés ce soir-là simplement par rapport au répertoire choisi mais aussi dans la manière de réapproprier leur univers à quatre sans rien de plus. Dans tous les cas ils restèrent fidèles à leur immuable mission : transmettre de l’émotion à leur public.
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