Pour sa 45ème édition et comme chaque année depuis 1967, le Montreux Jazz Festival programme une poignée de soirées à ne pas manquer. En ce dimanche 3 Juillet, la fin de journée était placée sous le signe de la Nu Soul avec à l’affiche un triumvirat, trois artistes aussi différents qu’élémentaires et présentés ainsi: Bilal, petit protégé du grand Dr Dre, Aloe Blacc le rebelle à la voix de velours, et la valeur sûre Raphaël Saadiq, poids lourd de la Soul actuelle et ambassadeur de l’intemporalité du genre.
A priori, la soirée s’annonce crescendo, du moins au niveau de la popularité, mais dans chaque cas au credo du vintage. « Vintage », un mot qui, décidément, en musique, revient de plus en plus à la mode et va bientôt virer sa cuti tellement il n’a plus trop de sens. Aujourd’hui, on fait du vintage, autrefois on faisait du vintage, et demain on fera de même… Bref, c’est peut-être ça que Bilal a voulu nous faire comprendre. Premier à se lancer ce soir, l’artiste n’est certes pas le plus connu mais il est définitivement celui qui a pris le plus de risques durant sa carrière musicalement parlant, sauf si l’on recense son maigre nombre d’albums: trois disques soul-r’n’b en dix ans, dont un pirate jamais sorti officiellement et depuis en fuite sur la toile – sûrement pour ça que la foule à du mal à s’emballer. Son avant-gardisme transformé en expérimental fait de lui un artiste marginal. Sur scène, le soulmen à la voix androgyne impose une classe et un respect naturel, avec une grosse tendance à faire ressortir son côté Kravitz taquin qui ne peut laisser de marbre une assistance captée, sage, surprise et étonnée, pour le coup. Soutenu par un guitariste trop effacé, la Les Paul en bandoulière, la sensualité et le groove en fil conducteur, sur des rythmiques élitistes, après une setlist courte mais intense et un final tout en distorsion, Bilal a fait taire les mauvaises langues: non, le R’n’b n’est pas qu’une affaire de studio.
Vient le tour de l’artiste le plus attendu de la soirée: Aloe Blacc. Et pour cause, depuis plusieurs mois, son « I need a dollar » est matraqué par les radios un peu partout dans le monde et a boosté la désormais incroyable popularité de l’ex-Emanon (son groupe de
Hip-hop californien). Ce passé d’un autre genre et sa reconversion précoce mais réussie dans la veine Curtis Mayfield lui ont évité l’étiquette d’artiste préfabriqué. Il est vrai qu’au vu de l’exploitation commerciale de ce deuxième album, un parfum de Ben l’oncle saoulant aurait pu se faire sentir. Point de tout ça. Look rétro, pas de danse funky: Aloe a bien fait de mettre le Hip-hop de côté. Il respire le Shaft 70’s par tous les pores. Entre soul, funk, slow, reggae et ragga, le show Blacc a l’avantage d’être carré avec un côté langage universel – la force de la soul. Au fil du show, Aloe verra monter l’ambiance, pour mieux accueillir celui qui est le plus à même de clôturer un spectacle téléguidé par les dieux Gaye, Brown, Redding ou Mayfield: le génial Raphael Saadiq.
Doit-on le qualifier d’habitué? Troisième passage à Montreux pour ce touche-à-tout de la musique. Caché derrière de grosses montures… vintage et sous un chapeau tendance 70’s, le fondateur du mouvement « New Jack Swing » (fusion R’n’B/Hip-hop) n’a
plus grand chose à prouver. Producteur, chanteur, multi-instrumentiste… sous ses faux-airs de premier de la classe, Raphael Saadiq a donné une claque à son publique. Avec la manière, tout dans l’énergie et la générosité, Raphael nous a tout fait: soul, rock, funk. Les trois genres, qui, une fois mélangés, sont prêts à vous faire péter n’importe quelle barrière. Effacer le grain authentique des ses albums studios au profit d’une pêche et d’enchainements infatigables en live sont tout à l’honneur de cet artiste vraiment digne de l’héritage historique des plus grands. Le temps a passé vite et personne ne s’est senti berné.
Ce dimanche soir nous a confirmé une chose: les soulmen ont cette chaleur, ce truc en plus qui donne la jeunesse éternelle à la black music. On est prêt à en reprendre pour les cinquante prochaines années.
(Source photo): Daniel Balmat et Marc Ducrest
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