Les rues sont blanches et poudreuses. Le froid est enfin tombé sur la ville. Mes pas incertains me conduisent difficilement à travers ce labyrinthe de verglas et de neige fondue. Le Flon est étrangement calme ce soir, une ambiance étrange et peu rassurante commence à y naître. L’air est électrique et les esprits commencent à s’échauffer… pourtant la lune n’est qu’à moitié pleine. Puis, tel un refuge, l’imposant bâtiment jaune s’impose à mon regard et me montre la direction. Il est 23h26. Le film commence dans quatre minutes. Après avoir parcouru le couloir sombre et oppressant qui mène à la salle numéro 8, je pénètre dans l’antre presque pleine, qui toute en hauteur me donne l’impression d’être minuscule. Le film va débuter. Je m’assois et me concentre sur la voix suave qui m’annonce que « les cinémas Pathé sont heureux de vous présenter votre film ». Ce soir, c’est l’avant-première de Machete, le nouveau film de Robert Rodriguez.
Les premiers logos apparaissent et c’est avec un mélange d’espoir et d’appréhension que je me laisse glisser: l’espoir d’être surpris et de voir enfin Danny Trejo porter un film à lui tout seul et l’appréhension que Robert Rodriguez ne gâche encore une fois ce qui aurait pu être un bon film. Mais bon, le film commence. Alors laissons-le faire son office et oublions les « a priori » qui trop souvent nous empêchent d’apprécier un long-métrage à sa juste valeur.
La première demi-heure démarre sur les chapeaux de roues et nous en fout plein les mirettes : de la jouissance à l’état pure. On y découvre un casting culte (Steven Seagal, Robert De Niro, Don Johnson, Tom Savini et bien sûr Danny Trejo) et sexy à souhait (Michelle Rodriguez, Jessica Alba et la très nue Lindsay Lohan). Les bases de l’histoire sont rapidement posées dans un prologue aussi gore que vain, où l’on voit Machete décapiter toute une ribambelle de guérilleros mexicains, avant de secourir une donzelle au corps surexposée et au regard équivoque. Tripante à l’excès, cette séquence nous annonce donc la couleur : du sang, des flingues, des répliques incongrues, des filles et de l’action à n’en plus finir. Je me laisse convaincre par ce menu alléchant et débranche mon cerveau sans aucun complexe. Mon appréhension disparaît alors totalement et je me dis que Robert Rodriguez va peut-être enfin remonter dans mon estime.
Malheureusement, je me trompe. Une fois l’intrigue, le style et les personnages introduits, Machete tourne vite à vide et répète sans vergogne son gimmick faiblard de départ. La mise en scène passe ainsi de gentiment instinctive et limite brouillon à complètement catastrophique. Au bout de la 40e minute, je ne compte même plus les cadrages ratés, les fautes de raccords affligeantes, les scènes sans rythme et le montage au comble de l’approximatif. Le scénario, quant à lui, ne se résume plus qu’à de l’action entièrement gratuite, sans queue ni tête. Rodriguez laisse ces personnages patauger en toute impunité dans leur insupportable statut de stéréotype déjà surexploité jusqu’à la moelle. Les dialogues obéissent néanmoins aux règles de la série B (répliques cultes, situations irréalistes), mais tombent très vite dans la répétition et la surcharge, gâchant tout leur effet humoristique et délirant. L’intrigue inexistante se résume donc à une grossière excuse pour montrer du nichon, du boyau et des balles, le tout sans aucun souci de qualité. Le long-métrage prend un vilain goût de déjà vu et les échecs artistiques de Desperados 2 et de Planet Terror (sans parler de la trilogie Spy Kids) nous reviennent en pleine poire! Du coup, tous les défauts du réalisateur s’en retrouvent exacerbés, comme s’il nous disait fièrement : oui, je fais des navets, et alors ?
Je suis le premier à sortir de la salle quand le générique de fin commence. Révolté et déçu par le spectacle médiocre que je viens de subir durant 90 minutes, je marche d’un pas rapide dans la neige, qui maintenant s’est changée en bouillasse difforme et humide. L’air ambiant est encore plus lourd qu’à mon arrivée : une bagarre éclate devant moi, au loin j’entends du verre voler en éclats et à ma gauche, une fille ivre n’a plus la force de résister aux avances de l’homme qui l’accompagne. Je fais rapidement abstraction de cette débauche plus que palpable, ce pour ne pas laisser mes nerfs prendre le pas sur ma raison. Je repense à Robert Rodriguez, ce réalisateur qui s’évertue sans cesse de gâcher ses pellicules par un style qui a priori se veut original et kitsch, mais qui finalement ne révèle qu’un manque évident de talent. J’entends déjà ceux qui me diront contre vents et marée que tous ces films ne sont pas si mauvais que ça, et ils auront raison. Une nuit en enfer et Sin City sont deux chefs-d’œuvre incontestables. Mais la réalité est beaucoup moins glorieuse quand on sait que le premier est écrit et interprété par son ami de toujours Quentin Tarantino et que Sin City est co-réalisé, produit et développé par Frank Miller. Ces deux exemples (parmi d’autres) nous montrent bien que Rodriguez a besoin d’être entouré pour pouvoir réalisé quelque chose qui tienne la route. Il est donc dommage qu’un réalisateur qui avait pourtant bien débuté (El Mariachi et Desperado) se complaise aujourd’hui dans un style usé et répétitif, qui en conséquence perd toute sa saveur. Rodriguez a du talent, sans aucun doute, mais il serait temps qu’il arrête de le gâcher et qu’il retrouve sa verve et son dynamisme d’autrefois, à l’instar du désormais surestimé Tim Burton.
Mes chaussures sont trempées maintenant, mais mes pensées vagabondent toujours. Machete et l’œuvre de Robert Rodriguez en général me font remonter un constat amer sur l’état du cinéma actuel. D’un côté il y a Hollywood et sa machine à médiocrité illimitée et de l’autre il y a les indépendants qui résistent et qui sont encore les seuls à proposer un cinéma intelligent, original et passionnant. Alors si ces derniers commencent à nous faire des films aussi mauvais (voire pire) que les produits sans âmes des studios multi-nationalisés, l’avenir du 7e art me paraît bien sombre. Je suis énervé et je sais que je m’emporte en me disant ça. Car d’ici quelques jours, je repenserais au Ruban Blanc, à Enter the Void, à The Social Network ou encore à Rubber, des films qui me font encore sortir de la chaleur douillette de mon appartement pour aller affronter le froid hivernal, dans l’espoir d’être transporté par cet art si sensible, si surprenant et si fédérateur qu’est le cinéma.
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