Sidartagantama le sage, dit le Bouddah, se saisit d’un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit: « Quand les hommes , même s’ils l’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents. Au jour dit, inexorablement ils seront réunis dans le cercle rouge ».
C’est ce dicton qui inspira Jean-Pierre Melville avant de tourner « Le cercle rouge », film franco-italien qui deviendra un classique du polar noir. Quarante ans après, l’effet est toujours aussi saisissant. Quatre hommes au destin lié: un ex-taulard fraichement libéré (Alain Delon), un ancien flic roi de la gâchette hanté par ses démons (Yves Montand), un criminel en cavale (Gian Maria Volonte) et un commissaire futé et dresseur d’indics (Bourvil). Tout commence dans le train plus ou moins mal famé Paris-Vintimille. De longs plans sur la campagne française glaciale, pas de dialogues durant le premier quart d’heure, le sifflement du train, le déhanchement des rails: Melville introduit une ambiance noire et froide, une atmosphère « black and blue » qui ne quittera plus nos personnages.
Gian Maria Volonte alias « Vogel » se fait la malle, échappe à la surveillance du « Commissaire Mattei » (André Bourvil), et commence une longue cavale à travers la cambrousse bourguignonne. Quadrillage de la zone, barrages routiers, hélicoptères militaires, chiens renifleurs… Le malin s’est fait la belle direction Paris. En chemin, il rencontre « Corey » (Alain Delon) qui vient de purger cinq ans à Marseille. Planqué dans le coffre de celui-ci, la trouille au ventre mais l’index sur la détente, les deux gangsters rejoignent Paname et sa place Vendôme, destination ultime des rois du hold-up bijoutier. On n’attire pas les mouches avec du vinaigre. Nos deux comparses vont organiser le casse du siècle. Avec l’aide d’Yves Montand, ex-flic qui a tourné alcoolo mais qui n’a rien perdu de son oeil en point de mire, l’intrigue va monter en haleine et gonfler en suspens. Pendant ce temps, Mattei va écluser les night-clubs craignos de la capitale à la recherche d’indices sur Vogel, avec l’intime conviction que plusieurs affaires et rumeurs qui sentent le souffre sont liées à son bonhomme. Avec sa scène de braquage silencieux de plus de 25 minutes, Le Cercle rouge a posé de nombreuses bases cinématographiques, réveillant le talent des cinéastes actuels amoureux du genre (Quentin Tarantino, Michael Mann…).
Allergique aux « mystères bourgeois à la Hitchcock », Jean-Pierre Melville place la tragédie policière sous le signe du destin. Selon lui, cet homme que l’on qualifie de mégalomane notoire à tendance mythomane voir affabulateur, il n’existe pas de règles établies de ce que doit être un film policier. Tout est dans la façon de traiter l’intrigue. En cela, il va mixer beaucoup de péripéties avec un aspect psychologique dense et des personnages fouillés pour un résultat qui va plaire à tout le monde, du cinéphile à l’intellectuel, sans oublier la classe populaire. En choisissant André Bourvil (pourtant aux portes de la mort, rongé par une sale maladie et préféré à Lino Ventura) dans un rôle dramatique à contre emploi, Melville a prouvé une dernière fois que le normand était un acteur époustouflant dans tous les registres, montrant une fragilité et une humanité hors du commun qui font les grands acteurs. Aboutissement d’un homme intransigeant et surnommé le « père terrible de la nouvelle vague », le Cercle rouge est un film noir comme on n’en fait plus, un film d’hommes qui va à l’essentiel, sans blabla inutile, une démonstration de simplicité et d’efficacité.
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