Remanier le mythe du super-héros est décidément à la mode ! Initié en 1986 par Watchmen et The Dark Knight returns, ce principe est aujourd’hui devenu un phénomène, avec en tête Kick-Ass, Super, The Authority, Supreme ou encore Civil War. Plus la production augmente et plus il est difficile de tirer son épingle du jeu ou de trouver une nouvelle idée valable et accrocheuse. C’est ce que Mark Millar, spécialiste du genre, a essayé de faire avec Nemesis, en redéfinissant le mythe du vilain. Excitant et divertissant, mais pas assez jusqu’au-boutiste. Et c’est là qu’Ed Brubaker entre dans la danse avec Incognito, un concept original à l’exécution mignolienne.
Ancien terroriste et criminel, Zack Overkill est passé du bon côté. Mais jamais assez prudents, les « gentils » le médicamentent pour inhiber ses pouvoirs. Car oui, Zack est une expérience de laboratoire qui a mal tourné, mais qui a conservé une force surhumaine. Et à la place de devenir juste et droit, il s’est mis au service de Black Death, au côté de son frère. Aujourd’hui, il fait parti du programme de protection des témoins et est devenu un archiviste anonyme. Jusqu’au jour où il découvre que fumer un pétard lui redonne ses pouvoirs et qu’il va enfin pouvoir reprendre son activité (à l’insu de son contrôleur), mais pour cette fois-ci rendre justice, à même la rue.
Après l’essai réussi de Sleeper, qui suit les mésaventures d’un policier aux pouvoirs dont il se serait bien passé, Ed Brubaker se lance dans Incognito avec la même idée en tête : marier polar et super-héros. Pari réussi dès la scène d’ouverture qui, à la manière d’un Frank Miller des bonnes années, nous entraîne au côté du personnage principal, qui semble s’adresser directement à nous, tout autant qu’à lui. On plonge alors sans préambule dans l’action et on devine au fur et à mesure la situation délicate dans laquelle Zack Overkill se trouve. A partir de là, les pauses se font rares, mais sont bien dosées. Le style est dense et nous rappelle encore une fois Batman Year One, dans l’immédiateté des situations. Le rythme et les révélations sont légions. Bref, on se trouve devant un comic-book entraînant à l’ambition égale aux moyens mis en œuvre.
En effet, Brubaker et Phillips n’en sont pas à leur coup d’essai. Déjà compères sur les très bons Criminal et Sleeper, chacun maîtrise son rôle et complète les lacunes de l’autre, quand besoin est. Il en ressort une homogénéité et une adéquation flagrante entre dialogues et action. Ce qui permet un rythme plus soutenu au niveau du découpage et de la narration. Ainsi, Incognito se compose de deux mini-séries, dont la deuxième, Bad Influences, vient de paraître en français chez Delcourt.
Mais au-delà de l’aspect divertissant, Brubaker s’efforce aussi et surtout de redéfinir l’image de antihéros. Il emprunte ainsi à ses prédécesseurs toute une armada de techniques pour en faire un mélange nouveau et pourquoi pas novateur. A Moore, il prend la décevante humanité, à Miller la noirceur radicale, à Mignola l’humour décalé et à Millar le dynamisme submergeant. Il y ajoute bien sûr sa patte aux accents pulp et crée ainsi une nouvelle mythologie du super-héros, sans donner l’impression d’y toucher.
Sean Phillips, lui, donne corps à ces innombrables péripéties avec une rigueur surprenante. Son trait gras reflète parfaitement l’ambiance nocturne qui habite chaque page et ses cadrages donnent une stabilité nécessaire au récit et l’encre dans une réalité, qu’on aurait parfois tendance à oublier. Il nous remet les pieds sur terre, tout en illuminant la crasse dans laquelle Overkill finit toujours par retomber.
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