Los Angeles a changé. Ses groupes aussi. De la débauche californienne, on est passé au Bio pour tout le monde. Enfin pas tout à fait. La nouvelle mode sans sucre et sans beurre a juste envahi le showbiz, remplaçant (pour longtemps?) la clope, la dope et le burger dégoulinant. Tellement « yesterday » diront les uns, un « lifestyle » éphémère diront les autres. Au milieu de tout ce dévergondage d’un nouveau genre, les Red Hot Chili Peppers restent les seuls survivants du mouvement fusion. Exit les Bad Brains, Living Colour, Faith No More ou encore RATM. Valait-il mieux exploser en plein vol? C’est la première interrogation qui s’impose après plusieurs écoutes de ce « I’m with you », dixième album des Red Hot.
D’emblée plus loufoques et moins politiques que Rage Against The Machine, les Red Hot Chili Peppers ont toujours jouit d’une cote énorme. Il est vrai que dès « The uplift mofo party plan » (1987) et son funk-rap-rock agressif sans pour autant être sanguin, le ton sera donné pour vingt ans. Du moins, c’est ce qu’on espérait – la fin des années 80 étaient alors dominée par Madonna, Europe, Bryan Adams et Phil Collins. On retrouvait dans les productions des Red Hot toute l’essence cuivrée de Funkadelic, le son percutant des Beastie Boys et une identité éclectique prometteuse. Suite à l’overdose fatale de leur guitariste de l’époque Hillel Slovak (en 1988), le groupe aurait pu sombrer et ne pas s’en relever. C’est tout le contraire qui se produisit, grâce, notamment à un homme, torturé mais surdoué: John Frusciante. En engageant le prodige de dix-huit ans, les Red Hot allaient s’octroyer une décennie glorieuse (entrecoupée par « One hot minute » (1995) qui vit le guitariste, en proie à des addictions sévères, remplacé par le hardos Dave Navarro) portée à bouts de bras par la virtuosité émotionnelle et les gimmick de maîtres de Frusciante. « Mother’s milk » (1989), « Blood Sugar Sex Magik » (1991), « Californication » (1999) et « By the way » (2002) vont non pas révolutionner le rock, quoique, mais tourneront en boucle en radio et TV. Impossible de passer à côté des Red Hot: amour forcé.
Jusqu’à présent, les écarts de line-up avaient plutôt bien fonctionnés, les immersions pop aussi. Pour ce nouvel album, on a failli dire on prend les mêmes et on recommence. Pourtant, Frusciante est absent (remplacé par le jeune Josh Klinghoffer) et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça s’entend. A-t-il senti le vent tourner? On le dit clean à l’heure qu’il est. Rick Rubin, fidèle producteur de la bande, est à nouveau de la partie mais malgré tout, la comparaison ne fait qu’enfoncer ce « I’m with you ». Nul besoin de replonger longtemps dans les classiques du groupe ou les réussites plus récentes de l’ambitieux et multiplatiné « Stadium arcadium » (2006) pour trouver tout ce qu’il manque à ce dixième album studio. Le doigté incendiaire de Frusciante fait défaut, cruellement. Le single « The Adventures of Rain Dance Maggie » ne pèse pas lourd face à un « Dani California » jadis du tonnerre ou un « Suck my kiss » qui fit jumper la planète naguère. Même si quelques titres montrent une poussée d’orgueil évident, le vent nouveau « Annie wants a baby », « Did i let you know » et ses cuivres endiablés ou l’excellent « Look around », le reste tutoie plus que d’habitude la qualité passable du remplissage de fond d’album. Le délire et la pêche n’y sont plus, le son paraît plus poli, plus sage. L’engagement reste platonique, et les intonations d’Anthony Kiedis résonnent comme un faux serment. Flea (basse) et Chad (batterie) font tout pour s’entendre mais le résultat ne groove plus aussi bien qu’avant, la magie s’est envolée.
Les Red Hot Chili Peppers semblent avoir égaré la force et les convictions de leurs débuts, paraissent rassasiés, limite trop gâtés, suffisants comme le toutou à maman qui se contenterait de se soulager dans un caniveau propre. Mais nous on veut du groovy, du funky et des trottoirs dégueulasses. Absent des scènes depuis des lustres, nul doute que le groupe remplira aisément les stades du monde entier (sa mission première?). En attendant, mieux vaut être sourd que musicalement aliéné.
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