Le thriller sud-coréen est devenu en quelques années à peine une référence du genre au niveau mondial. Tout commence doucement au début des années 2000 avec des films couillus mais rares, tels La sixième victime ou Joint Security Area. L’explosion ne tarde pas et en 2003, sortent presque coup sur coup Old Boy de Park Chan-wook, Memories of Murder de Bong Joon-ho et A bittersweet life de Kim Jee-won. Trois films chocs pour trois réalisateurs surdoués qui deviennent instantanément les fers de lance du renouveau cinématographique sud-coréen. La reconnaissance internationale vient même confirmer ce statut en les récompensant du Grand Prix du Jury du festival de Cannes 2004 pour Old Boy et du Grand Prix du festival du film policier de Cognac pour Memories of Murder. Le thriller coréen est lancé et depuis sept ans rien ne semble pouvoir l’arrêter. En témoigne aisément les dizaines de films coup-de-poing qui voient le jour par la suite, comme The Host, Thirst ou encore le très remarqué The Chaser.
Aujourd’hui, une nouvelle bombe est annoncée sur nos écrans francophones pour l’été 2011 : I Saw The Devil, nouvel effort du talentueux Kim Jee-won, déjà responsable des variés mais géniaux Deux Sœurs, A bittersweet life et Le Bon, La Brute et le Cinglé. Victime d’une censure pour certains exagérée dans son pays d’origine, ce film fait déjà couler beaucoup d’encre dans le milieu cinéphilique coréen de notre vieux continent. Initialement prévu pour le 11 août 2010 en Corée du Sud, I Saw The Devil est jugé trop violent et porterait atteinte à la dignité humaine, selon le Korean Media Rating Board. Le film est alors condamné à sortir uniquement dans les salles au programme X non-pornographique. Seul problème, aucune salle de cette sorte n’existe en Corée du Sud… Kim Jee-won doit alors revoir sa copie et édulcorer les scènes les plus choquantes. Au final, ce sont 80 secondes de film qui sont coupées. Les projections de presse sont annulées, le film sort avec un jour de retard et écope tout de même d’une interdiction au moins de 18 ans. On peut alors se demander qu’est-ce que pourraient bien montrer ces scènes bannies par la même organisation de censure qui avait autorisé quelques années plus tôt les scènes de langue et de marteau d’Old Boy, les scènes de torture de The Chaser ou encore le démembrement décomplexé de La sixième victime. Le Mad Movies nous éclaire sur ce point et nous parle d’une scène de banquet où le tueur et son chien mangent des parties d’une victime et d’une autre tout aussi ragoutante. Deux scènes entièrement assumées par le réalisateur, qui ne comprend pas pourquoi son film, en particulier, subit une telle censure et se pose en victime dégoutée de ce système. Pour nous autres francophones, on ne peut s’empêcher de penser au cas Martyrs de Pascal Laugier, qui à l’instar d’I Saw The Devil fût interdit d’exploitation en France avant d’être autorisé après un lobbying féroce des amoureux du genre. Quoi qu’il en soit, le nouveau chef-d’œuvre de Kim Jee-won arrivera en Europe l’été prochain et on espère de tout cœur que le director’s cut sera disponible sur le DVD/Blu-Ray, comme ce fût le cas pour Thirst de Park Chan wook (Wild Side à la rescousse!!!).
Mais fi de cette polémique, venons en au fait! I Saw The Devil est un pur produit sud-coréen qui nous remet encore une couche de génie, juste au cas où nous n’avions toujours pas compris que les coréens sont définitivement les maîtres du thriller contemporain. Premier tressaillement de plaisir : le casting. On retrouve Choi Min-sik, l’acteur emblématico-charismatique d’Old Boy, peintre torturé d’Ivres de femmes et de peinture (signé du maître Im Kwon-taek), terroriste nord-coréen dans Shiri et gangster de bas-étage amoureux dans Failan. Face à lui, le plus jeune et talentueux Lee Byung-hun assure le rôle du vengeur maladif, après celui du garde-frontière soi-disant meurtrier de Joint Security Area (JSA) de Park Chan-wook et surtout celui de l’homme de main poussé à bout dans le grandiose A bittersweet life. On l’aura compris la confrontation à l’écran de ces deux bêtes de cinéma est très attendue et promet déjà des scènes de haut vol. D’autant plus que le scénario est amplement à la mesure du talent de ce duo manichéen.
En pleine nuit hivernale, la voiture de Ju Hyeon tombe en panne sur une route quasi-déserte. Elle coupe le moteur et attends la dépanneuse. Un homme sorti de nulle part lui propose son aide. Après tout, il ne s’agit que d’un pneu crevé, rien de bien compliqué. Cet homme si avenant et aimable se nomme Jang Gyeong-Cheol et est un tueur en série cannibale. Quelques heures plus tard, le corps de Ju Hyeon aura été démembré, découpé et dégusté. Sur la route, son téléphone vibre encore sur la neige glacée. Su Hyeon, son mari et policier, commence à s’inquiéter. Sa vie changera radicalement quand des plongeurs retrouveront la tête de sa femme dans un fleuve et qu’il décidera de faire souffrir le responsable… le faire souffrir le plus longtemps possible. S’engage alors un jeu du chat et de la souris où l’intelligence et la détermination de l’un rivalisera avec la cruauté et l’inhumanité de l’autre pour aboutir à un final où rédemption et deuil seront malmenés.
I Saw The Devil porte parfaitement bien son titre. Poussant les règles du film de vengeance à l’extrême, Kim Jee-won va au-delà du genre et pousse son exploration jusqu’aux zones les plus sombres de la motivation humaine. Le début du film nous expose une situation classique au possible. Il pose efficacement les bases d’une intrigue qui ira beaucoup plus loin qu’on pourrait le croire. Lentement mais sûrement, les stéréotypes des deux personnages principaux évoluent vers un nouveau postulat, où les frontières entre le bien et le mal deviennent de plus en plus floues. Le cas le plus intéressant ici est celui de Su Hyeon, le policier veuf. Personnage transparent et prévisible, il se métamorphose en machine à venger en seulement quelques jours. Il devient alors stratège dans l’art de faire souffrir sa proie à distance et ce à répétition, dans le but final de lui faire payer le prix le plus humainement intolérable. Cette réaction ultime correspond à la souffrance intériorisée et nourrie de celui à qui on a enlevé sa raison de vivre. L’abomination du meurtre de sa femme équivaut à la cruauté et à la froideur de sa vengeance. Su Hyeon devient esclave de sa haine envers Jang Gyeong-Cheol. Il ne vit plus que par elle et se détache de la réalité. Il n’y plus qu’une seule chose qui occupe son esprit désormais.
De l’autre côté, le tueur réponds parfaitement aux attentes du psychopathe froid et sans remords de ce genre de films. Il doit tuer pour vivre et tant pis pour ses victimes, de toute façon, elles sont là pour ça. Et puisque la nature l’a fait ainsi, pourquoi donc aurait-il des regrets quant à ses actes ? Néanmoins, son comportement évolue lui aussi vers quelque chose d’insoupçonné. Il devient une proie. Et en tant que telle, il panique, il fuit, il se réfugie et cherche à s’attacher à ce qu’il connaît. Cette traque ne l’empêchera donc pas de continuer à tuer, mais tel un animal pourchassé, il devra s’adapter rapidement à d’autres environnements, à d’autres modes opératoires et à des situations encore inconnues. Malheureusement pour lui, tous ses efforts sont vains, car Su Hyeon lui rappelle sans cesse qu’il « va souffrir et que ce n’est que le début ».
Mais ça ne va pas durer. Jang Gyeong-Cheol va se réveiller de sa torpeur et va prendre Su Hyeon à son propre jeu. Les rôles s’inversent à nouveau. Chacun des deux opposants apprend de ses erreurs. La lutte devient alors quasi-épique et se termine dans un final d’une beauté émotionnel inédite. Et lorsque le générique commence à défiler. Une question nous assaille: de Jang Gyeong-Cheol ou de Su Hyeon, qui était le fameux diable du titre ? Une interrogation qui résume à elle seule tout le propos du film. Kim Jee-won passe 2h22 à tester les limites du bien et du mal dans chacun de ses personnages et à nous tirer d’un côté, puis de l’autre, pour éprouver nos principes, notre sens moral et nos instincts primaires. Tout ça pour nous dire que rien (ni le bien, ni le mal) n’est jamais acquis et que la nature humaine n’est pas toujours ce qu’on pourrait croire ou se qu’on nous a appris.
I Saw The Devil est un film sans limites qui traite son sujet à bras le corps sans aucun artifice et avec une authenticité rare de nos jours. Il fait trembler nos fondations et nous laisse le soin de mieux les remettre nous-mêmes. On se laisse prendre aux tripes et au cœur sans aucun ménagement et on en ressort avec une marque douloureuse, mais aussi et surtout rédemptrice. Et des fois ça fait pas de mal de se faire secouer un peu!
Et pour ceux pour qui les mots ne suffiraient pas:
I Saw The Devil Korean Official Trailer
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