« Bonne chance pour remplir tes stades ». C’est sur ces mots effrontés que Jean-Claude Camus, en 2010, mettait un terme à une amitié productive vieille de plus de vingt ans. Et Johnny Hallyday lui doit beaucoup. Des tournées gigantesques pour faire oublier des albums ratés, une côte d’amour inébranlable, une gestion hors-pair des comptes du plus dépensier des showman français… Depuis cette séparation inamiable, Johnny n’a pas changé. Ses créanciers oui. A commencer par son public, qui ne lui a toujours pas pardonné sa (pourtant très bonne) collaboration avec Mathieu Chédid sur l’album « Jamais Seul » (2011): le retour de flamme d’un « allumez le feu » certes efficace mais qui n’a fait qu’anesthésier l’exigence de fans toujours plus nostalgiques. Ensuite, c’est avec une idée toute faite derrière la tête que le producteur Gilbert Coullier récupéra Johnny: mettre le paquet. Mais ont-ils vraiment le choix?
Alors, en 2012, que peut-on attendre d’un concert de l’ex-idole des jeunes? Comme on fêterait Noël dès la mi-octobre dans les rayons des grands magasins, cette énième résurrection annoncée dans les médias depuis quelques mois, on n’y croit plus. Pourtant, le stade était plein. Un samedi soir à La Praille. Plus de bagnoles familiales que de bikers. Logique, on est en Suisse, qui plus est à Genève, dans un stade qui ne vibre jamais vraiment, la faute à une équipe de foot pitoyable et à des artistes internationaux qui trouvent un public plus large dans les prés carrés alémaniques de Berne ou Zurich. Et puis, entre nous Genève, c’est un peu la France. Dans le cas présent, une ébauche. Car cette tournée, c’est vingt-et-un stade. Vingt et un brouillons pour le stade de France et sa prestation généralement musclée, filmée et déclinée dans tous les formats commercialisables? Faux, depuis le temps Smet connait son sujet, et Saint-Denis ne pointe le bout de son nez que dans deux semaines (les 15, 16 et 17 Juin). Au passage, qui remplit trois soirs de suite un stade de 80 000 personnes en France aujourd’hui? Personne…
Sachant que Bastian Baker allait assurer la première partie, c’est un peu à reculons, et pour tout dire, pas spécialement pressé, que nous avançâmes vers l’enceinte où déjà, les intermittents s’empressaient de retirer leurs accréditations avec toujours le même motif: « bonsoir, on est là pour démonter la scène ». Pressés d’en finir? Le Justin Bieber Suisse ne nous en voudra pas de n’être pas très ponctuel en cet avant dernier jour de la semaine, sans compter qu’il fallait faire une petite place à Louis Bertignac, autre ouvreur de la soirée échappé de sa récente aventure télévisuelle (The Voice, en compagnie de Quasimodo, Léonard de Patagonie et Jenifer (avec un « n »? deux « n »? On s’en fout…)). Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ex-Telephone se débrouille bien sans combiné, juste armé de son éternelle Gibson SG. Certes, le seul et unique charme de son set réside dans l’intensité ressentie dès les premières notes de « Cendrillon » ou « New-York avec toi », et comme pour son compère Aubert, on se dit – mais jusqu’à quand? – qu’une reformation de Telephone remplirait des stades, elle aussi.
21h46, la foule se torticolise sur sa gauche pour constater que Laeticia Hallyday boude les loges en préférant s’installer au milieu d’une foule sage, polie et helvétiquement correct. Les lumières s’éteignent net, le saisissement est palpable. Une intro instrumentale ne dérogeant pas à la règle des deux minutes et là, une énorme boule en forme de mine sous-marine surplombe la scène. Hallyday n’a plus le choix, pour cette (dernière?) grosse tournée, Johnny met ses boules sur la table: ça va péter. « Allumer le feu », « Né dans la rue », « Excuse-moi partenaire », « Ma gueule »… Aucune place pour les p’tits derniers made in « M ». On est un poil déçu, il faut le dire. Balayer ce récent coup de jeune par des classiques est tout sauf un choix risqué. Cette tournée est celle du rassemblement, chose que les amis politiciens du chanteur n’ont pas su faire en cinq ans. Montre en main, Smet sera au-dessus des lois deux heures trente durant. « Marie », le devenu rare « Poème sur la 7ème » et « Diego » bien aidés par un orchestre philharmonique local subtilement glissé derrière la star, une session unplugged presque au coeur de la foule – grâce à une pyrotechnie impressionnante soit un kiosque naviguant sur rail au devant de la scène principale, parfait pour accueillir « Elle est terrible », « L’idole des jeunes », « Cours plus vite Charlie », « Joue pas de Rock’n’rol pour moi » -, un gros clin d’oeil à Elvis et à ses Sun Sessions, « L’envie », deux-trois bricoles et deux rappels pour terminer sur du Brel: « quand on n’a que l’amour ». Patricia Kaas et Céline Dion l’ont déjà fait avant lui. Cependant, tous autant qu’ils sont, n’ont-ils réellement que l’amour? Parfois ça aide. Deux tiers du concert à essuyer des trombes d’eau, des refrains entiers chantés par coeur… vous appelez ça comment? Que je t’aime! Hallyday n’est pas encore ce chanteur abandonné sur qui les vautours n’attendent plus que de faire du business salement posthume. Aussi vieux que courageux, Johnny n’a pas encore puisé dans l’énergie du désespoir et semble encore le bienvenu partout où le Rock est roi. A L.A., à Saint-Barth, à Gstaad ou ailleurs.
Gyslain Lancement
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