Le rock est gangréné. La gangrène, cette nécrose des tissus qui conduit le plus souvent à une amputation ne laisse pas présager de beaux jours au destin figuré de l’industrie. De là à dire que le Grunge (mycose en français) y est pour quelque chose… Seattle a vu naître Kurt Cobain et le parachute percé qui va avec, poussant des millions de jeunes amputés d’avenir à ne jurer que par trois accords, joués de manière aussi crade que mélodique. Jusqu’à une mort à petit feu, bien aidée par des majors poussant le vice à bout, à nous faire accepter sans douleur des aberrations du genre: Chris Cornell est grunge. Mais, durant tous ces temps angoissants et apathiques, une génération y est née et a grandit, puisé et muté, et le moins que l’on puisse constater, c’est qu’elle s’en est bien tiré.
A la question « préférez-vous les grandes ou les petites salles? », les Fleet Foxes n’y vont pas par quatre chemins, la classe absolue de barbus indie en plus: « on préfère jouer deux fois dans une petite salle qu’un seule fois dans une arène gigantesque où notre musique subirait plus qu’elle ne profiterait d’un espace dur à combler ». Vous l’aurez compris, en ce mardi 22 Novembre, Fri-son a transformé son paillasson « Welcome » en paillasse folk-blues, avec une directive simple: interdiction de piétiner. Souvent comparés à Crosby, Stills, Nash and Young pour la douceur de leurs harmonies et aux Beach Boys pour leur fratrie musicale, les Fleet Foxes sont plus que ça. Ces hippies from Seattle, ces six jeunes musiciens non trahis par leur allure de loser n’ont emprunté qu’un élément à la ville du Grunge: le look. Cachés derrière une pilosité prononcée, les Fleet Foxes portent un étendard folk poli et peu convenu, pour l’époque. Des mecs aux ongles longs – la 12 cordes acoustique est de rigueur – et sales, perpétuant le cheveux filasse et le teint blafard, mais fans de Tolkien, des 70’s et des Beatles, ce qui porte fantastiquement, et bien aidé par le vent, leur musique à la fois fluide et naturelle. Une manière comme une autre de rendre immortels les disparus John Martyn et autres Bert Jansch?
En deux albums et sans avoir perdu (trop) d’innocence, la musique des Fleet Foxes finit de transporter des vertus originelles d’expression humaine et mystique, aux contours fragiles et lumineux, aux choeurs amplis d’ensorcelants mystères. C’est perdu dans le noir qu’on se laisserait guider par cette virtuosité mémorable. La moyenne d’âge du groupe (25 ans) file un coup de vieux aux vestiges du monde folk, naviguant à vue et sans méchanceté aucune, mais avec une pression grandissante autour de six membres peut-être déjà aussi grands que l’emballement médiatique branchouille qui les poursuit. Cette unique date en Suisse, en forme de gros lot pour Fri-son, n’a pas fait que rassembler des privilégiés qui s’ignorent. A l’image de leurs disques qui, il faut le dire, suivent les empreintes injustement recouvertes du folk anglais des 70’s, les Fleet Foxes sont un monument en devenir, à voir et à écouter aujourd’hui pour en reparler dans 100 ans. Oui, on aura vu les Fleet Foxes.
Gyslain Lancement
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