C’est l’histoire d’un Belge plutôt direct. Pas le genre à gamberger pour nous pousser à danser. D’apparence gendre idéal, Stromae a une fâcheuse tendance à gonfler l’ambiance. Et à un an de la fin du monde, ce n’est pas pour nous déplaire. Alors, on danse?
Bon, Stromae, as-tu bien pris ton bol de musique ce matin?
J’ai pris mon bol de musique, exactement! Quoique non même pas, et aujourd’hui je n’en prendrai pas avant ce soir. Normalement, j’essaie toujours de m’organiser pour composer sur place, partout où je vais, avec une sorte de petit studio portable. Et puis faut dire qu’en règle générale, je ne me lève pas aussi tôt… Du coup, la musique attendra.
Quand tu dis « bol de musique », c’est donc que tu composes, et non que tu écoutes autre chose que ton propre son…
Oui oui, je n’écoute pas beaucoup de musique, en fait. Je m’intéresse à deux-trois trucs de hip-hop américain en ce moment et c’est tout. En général, je découvre un morceau et je vais tellement le kiffer que je me le passe en boucle du matin au soir!
On est tous un peu pareils… On fait des Ipod toujours plus gros, et au final, on s’écoute toujours le même morceau…
Exact! Et c’est quand même assez dingue! (rires)
Qui dit études, dit travail, qui dit travail dit les thunes, alors qui dit concert de Stromae à Fri-son dit?
(il réfléchit) Alors, dit visuel kraftwerkien, et donc épuré et minimaliste comme dans tout mon travail. Avec du bon live en compagnie de deux musiciens, chose parfois difficile à intégrer dans la musique électronique, où l’on a trop tendance à s’arrêter à un micro et une platine. D’ailleurs, je tiens à remercier les Transmusicales de m’avoir programmé, d’avoir eu les couilles de mettre en avant un artiste comme moi qui arrivait avec une image « hit de l’été ». Grâce à ça, on a tout retravaillé en amont, en apportant du visuel, environ un tiers du show, et plein de choses additionnelles comme du rire, des pleurs, du clownesque…
Ce n’est pas évident pour un artiste électro de s’imposer sur scène, mais tu traînes de bons échos derrière toi, notamment aux Eurockéennes de Belfort…
Merci et pourtant, ce fut une des pires dates! Je t’explique: le show part, l’ambiance prend bien et là: une tuile de cinq bonnes minutes. Plus de son ni de lumière au moment fatidique. Sur le coup t’es un peu énervé, tu te dis « merci du cadeau », et après tu relativises, en pensant qu’une fois que t’as connu le pire, il ne peut plus rien t’arriver. A la limite une fausse note à côté de ça, ça n’a pas d’importance.
Tu sais, dans les pays francophones, on a tendance à toujours faire des blagues sur les Belges. Je t’autorise à te venger si tu en as une en stock…
Waouw! Mais il n’y a pas trop de blagues sur les Suisses! C’est un créneau à exploiter tiens… J’en ai pas en stock. Par contre j’en ai une sur les français qui est plutôt pas mal, quoiqu’un peu méchante: « le rock français est un peu comme le vin anglais, c’est une bonne blague ». Voilà, ça reste bon enfant et musical en plus! (rires)
Stromae, tu es ici dans un pays de bière et de chocolat, un peu comme chez toi. Mais bon, on reste quand même un cran en dessous. T’as envie de dire quoi aux suisses? Bien essayé? Faudra repasser?
(rires) C’est vrai qu’au niveau du chocolat, il y a un peu de concurrence. Mais bon après, au niveau de la bière, faut se rhabiller et se dire qu’elle est bien meilleure chez nous. Allez ok, pour le chocolat on peut discuter…
La Belgique a le vent en poupe dis-moi: la chanteuse Selah Sue qui cartonne, le footballeur Eden Hazard qui fait avec une cacahuète ce que Maradona faisait avec une orange, Spielberg qui craque sur Tintin…
Tout à fait! Je suis allé le voir au cinéma il y a pas longtemps…
Verdict?
C’est pas mal, surtout au niveau des effets, ils m’ont tués!
C’est un peu à double tranchant le surplus d’effets, non?
Ouais surtout en 3D, au bout d’un moment ça te fout l’envie de gerber. J’ai l’impression qu’il n’y a que Pixar qui maîtrise bien la 3D. Après, le scénario ne m’a pas emballé plus que ça, c’était juste marrant d’entendre Tintin dire « saperlipopette » en vrai. Subjectivement parlant, je ne suis pas un gros fan de Tintin, il faudrait voir avec les inconditionnels si ils ont vraiment retrouvé dans ce film tout ce qui fait le charme de la saga.
Quand on voit la pochette de ton disque, l’erreur à ne pas faire serait de se fier aux apparences. C’est vrai, on te donnerait le bon dieu sans confession et au final, tu retournes la maison. Le paradoxe, c’est un truc que tu aimes cultiver?
(rires) Tout à fait! En fait, c’est peut-être mon indécision constante qui fait que dès que je commence à avoir trop une étiquette, au lieu d’annoncer clairement la couleur, je préfère pratiquer l’art du contre-pied. Tu vois, je raconte les merdes de la vie et l’album s’appelle « Cheese ». Associer ce titre avec un visuel monalisien, avec un petit rictus douteux, je trouvais que ça collait bien. Je tiens vraiment à rééquilibrer le truc. Même chose pour le côté ultra-populaire. On est diffusé sur les grandes ondes, on pourrait se pointer aussi bien chez Patrick Sebastien, qu’à Taratata, ou dans les Inrocks, c’est ce grand-écart là que je trouve super intéressant.
Justement, des paroles un peu noires, un peu inquiètes sur des beats festifs, c’est un bon moyen de faire passer la pilule…
Evidemment. C’est venu d’un vieux fantasme, un truc né quand je faisais du rap. Parce qu’en général, on te dit de faire bouger les gens en racontant un peu rien du tout ou alors il faut se cantonner aux clichés gros seins, champagne et grosse bagnole, comme si une soirée ne comportait que ça. Ou alors il faut pondre un truc ultra branchouille, uniquement destiné aux connaisseurs un peu prise de tête. Mais moi je dis non, j’ai envie de venir avec un truc dansant et qui parle de la vraie vie, gorgé de réalisme.
Il paraît que tu aimes penser négativement pour être agréablement surpris par la réalité. C’est un peu ta devise? Une façon de prêcher la noirceur pour obtenir la lumière?
Tu m’as bien cerné, bravo! Pour le futur, j’imagine toujours les pires situations, les effets pourris de la vie, la mort, l’abattement, des influences de tout ce que l’on voit et ce que l’on entend… Je me blinde avec et je constate qu’après ça, on ne peut qu’être agréablement surpris.
La musique francophone a connu un bouleversement avec le slam il y a quelques années. Et toi Stromae, tu produits un peu le même effet, mais en allant plus loin…
Oui, c’est vrai, au niveau déclamation, c’est pareil. Pour moi, le seul point noir du slam, c’est la rythmique un peu négligée. Je préfère garder ma musique dans le groove, qui est un peu absent dans le slam. Mais il y a des artistes que j’aime dans ce milieu, comme Abdal Malik qui groove à mort. Faut aussi se méfier des extrêmes, dans n’importe quel style, dans l’électro comme dans le rap, ça peut être fatiguant. Le gros problème qu’il y a eu avec le slam, c’est le côté branché qu’il a tout de suite pris, totalement injuste vis à vis du rap.
L’intelligentsia s’est un peu approprié le slam, en effet…
C’est clair! Le rappeur qui se pointait avec un bon son, on lui disait: « ouais bof, tu veux pas faire du slam à la place? » Après, bien évidemment, tout dépend de ce que tu racontes dans tes textes, tu peux dire d’la merde dans le rap comme dans le slam, mais il faut se méfier des étiquettes. Mais bon, finalement, en tant qu’artiste, c’est aussi notre boulot de surprendre.
Quand on écoute « Summertime » et ses paroles acerbes, on se dit que 35 ans après, le phénomène « Sea, sex & sun » a pris un coup dans la gueule là!
(rires) Ah oui c’est sur! On vient bronzer et chercher son cancer de la peau… Bref, il n’y a pas forcément une envie de moraliser, c’est juste un gros malaise actuel, où des gens crèvent de faim, on ne sait pas trop où l’on doit se mettre, kiffer, pas kiffer… J’ai l’impression qu’il y avait moins de gêne à être européen avant. Alors, justifié? Pas justifié? Je ne sais pas trop, mais il faut bien se dire que l’on n’est pas tout seul et que le pire moyen d’agir est de se prendre pour dieu, bourré de démagogie.
Il y a vraiment une évolution entre ce « Sea, sex & sun » de Gainsbourg (en 1977) totalement minimaliste et disco, écrit sur un coin de table, et ton constat à toi sur « Summertime », 35 ans plus tard. Il y avait l’insouciance, maintenant il y a le constat…
C’est vrai, tu es bien renseigné (rires). Il y a un gros décalage avec cette époque. La société a changé, pas forcément en bien…
Le cap du deuxième album, où l’on attend trop durement les artistes, ça te fait peur? Tu te battras pour faire sonner les choses comme tu le sens?
C’est ça qui est très dur. On ne me dit pas de faire un « Alors on danse 2 », mais c’est sous-entendu. C’est dans les espoirs de tous, que ce soit dans le management, les mecs qui parlent de chiffre ou la maison de disques. Alors moi aussi, je l’attends un peu, mais il ne faut pas s’enfermer dans des automatismes. On me conseille de m’aérer le cerveau, de faire des instru pour les autres, histoire d’ouvrir mon éventail. Du coup, ce que tu as fais sert aussi pour les autres, tu peux le placer, faire des collaborations… J’ai fait ça avec Kery James, Melissa M… Je me suis surpris à faire de la pop et à aimer ça. J’essaie de composer, de me concentrer, d’emmagasiner l’énergie nécessaire mais ce n’est pas facile. Le tout est de ne pas trop glander, de ne pas choper de mauvais réflexes.
Le fait de bouger, voyager, en Europe, au Canada… est-ce que ça t’ouvre ou au contraire ça te blase, niveau composition? Si l’on fait référence à des mecs comme Moby qui composent la nuit, dans les villes du monde entier en pleine tournée…
Je pense que ça me bloque, ça ne me blase pas, j’adore voyager. Quand je vois des mecs comme Moby, je me dis que j’ai encore du chemin dans le sens où je n’ai pas encore cette auto-discipline-là, de composer directement après un concert. On est plutôt à déconner devant Fifa ou Mario Kart, mais un jour ça viendra…
Ah! T’es plus Fifa et pas Pro Evolution Soccer?
Ouais, alors on était PES et puis on a viré sur Fifa. Mais c’est normal! (rires). A un moment, PES a baissé, ils ont moins bonne réputation, ils craignent un peu, quand tu shoote dans un ballon ça fait un bruit de canette… Et puis au niveau graphismes, EA sports c’est la classe, pendant que PES fait du surplace!
Tout à l’heure, on a parlé de fin du monde, et, à un an de l’apocalypse Maya, on se rend compte que les Belges ont pour l’instant été épargnés par les catastrophes naturelles. Si le Maneken pis s’arrête de pisser, on tiendra là le clap de fin?
Je pense qu’il arrêtera de pisser le jour où la Hollande sera envahie par les eaux. Tu sais qu’ils perdraient la moitié de leur territoire si la mer montait juste d’un mètre? C’est drôle non? Ironiquement parlant bien sûr. La Belgique du coup, perdrait pas mal. On n’est pas des plus montagneux! Je pense qu’il ne faut pas trop paranoyer, ce sont des conneries tout ça. Mais bon, je ne veux pas m’attirer les foudres Maya, alors je ne vais pas m’étendre sur le sujet…
Si si tu peux, regarde Paco Rabanne, il avait prédit la fin du monde en 1999 et il vend toujours des parfums…
(rires) Ca c’est bon! Bien trouvé! Alors ce sera la fin du monde! Je l’ai prédit!
Propos recueillis par Gyslain Lancement
Album « Cheese » disponible en magasin (Universal Music)
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