Tranquille et la tête ailleurs, Claude Moine a toujours été un rêveur. En cinq décennies, trente sept albums au service du rock, et au grand dam des attardés qui oseraient prétendre que le genre ne peut pas se chanter en français, le petit Claude est devenu Eddy. Rocker franc-tireur à l’humour ricaneur, Eddy Mitchell dégaine d’une traite, à la question Stones ou Beatles? Ni l’un ni l’autre. Le rock’n’roll, c’est Chuck Berry et Gene Vincent, ce sont eux l’essence même du rock. C’est vrai, qui a écrit plus de tubes que Chuck? Personne… One point. Appartenant à la génération des Hallyday et Dick Rivers, Eddy sera à jamais le deuxième en terme de succès, mais éternel premier en classe naturelle. S’il ne fallait se fier qu’aux faux intellectuels et autres journalistes étroits, ceux-là même qui s’emparent de sa musique pour écrire sur lui, Eddy serait un rocker, un roller, dans le contexte actuel de l’évolution sexuelle… Faux, on a affaire à un vrai cow-boy, parti de rien pour arriver à grande chose, porté au sommet par d’immenses qualités, une stabilité musicale permanente et rassurante, finalement très peu entachée d’éventuelles concessions. Le Rock’n’roll meilleur que le Formol?
Dès 1963, Eddy décide d’abandonner ses Chaussettes Noires pour rentrer de plein pied dans le Rock et le Rythm’n’blues. C’est à Londres (album « Eddy in London ») et à l’aube d’une collaboration avec Big Jim Sullivan que l’on va vite comprendre une chose: le frenchie a de belles années devant lui. Eddy va revisiter un nombre incalculable de standards du rock’n’roll: Elvis Presley, Eddie Cochran, Gene Vincent…, posant ses valises tantôt aux mythiques studios de Muscle Shoals, tantôt à New-York, à la Nouvelle-Orléans et bien entendu Nashville - une ville qui a malheureusement changé, devenue un ramassis de banques et de cabinets d’assurances… Avant, tout le monde aimait Nashville car c’était la ville de la musique, que ce soit le rock, la country ou le rythm’n’blues. Elvis, Chuck, Gene, tous enregistraient là-bas… Au fil des albums, le rocker va devenir crooner, sans mauvaise vibration, dépositaire d’une tendresse made in France à l’accent américain. De Pigalle à Harlem, les ghettos sont les mêmes.
Alors, quoi de mieux qu’une intégrale sous forme de coffre de diligence pour célébrer ces noces d’or du rock’n’roll? Passionné de 7ème art américain, indigné très tôt par la disparition des cinémas de quartier au profit des supermarchés, Eddy « Blueberry » tape du talon dans la poussière, de « 7 colts pour Schmoll » (1968) à « Come-back » (2010). Le cow-boy ne parlera qu’en présence de ses proches. C’est ainsi que l’on apprend d’un vieux sage à faire la grimace et du bout de la plume de sa propre fille (la journaliste Marilyn Moine) qu’une carrière si longue a du mal à se contenter de cinquante pages d’interview. Même s’il se considère issu d’une génération dorée, c’est nous qui sommes gâtés. Dans un respect discret, parmi les secrets qu’il a bien voulu nous faire partager, Eddy a épousé la femme de ses rêves, a embrassé à pleine bouche sa carrière, a vendu son âme au Rock en lui foutant la corde au cou pour la vie, son monument, sa Caldonia. Et pourtant, on imagine mal que le Rock’n’roll français puisse toucher à sa fin. Trop difficile de ne choisir qu’un seul disque, autant tous les prendre. Rien qu’un seul mot: satisfaction. Et merci.
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