Christian Lax
Editions Futuropolis/Aire Libre
Sont ici réunis les trois récits que Christian Lax a consacré à la geste cycliste. Le premier d’entre-eux, « L’Aigle sans orteils » initialement publié dans la collection Aire Libre en 2005 en est le récit fondateur et, à mon avis, le plus attachant des trois.
Nous sommes en 1907, Amédée Fario, jeune montagnard débordant d’énergie participe à la construction de l’observatoire du Pic du Midi. Il se lie d’amitié avec Camille Peyroulet, astronome, qui est passionné par les exploits cyclistes de ces « rudes semeurs d’énergies » comme se plait à les appeler Henri Desgrange le patron du Tour de France. Amédée monte quasiment tous les jours à l’observatoire, apporte « L’Auto » à Camille (l’ancêtre de L’Equipe) en plus du ravitaillement pour les quelques hommes qui vivent là-haut. Il assiste à une étape du Tour à Toulouse qui achève de le convaincre à se lancer dans l’aventure. Mais un vélo coute cher et Amédée le Porteur devra faire de nombreuses et périlleuses navettes vers l’observatoire avant de pouvoir s’en payer un, et « ce sera un Alcyon, bleu ! ». Bleu comme les yeux d’Adeline, sa bien-aimée qu’il va bientôt épouser. La Première Guerre Mondiale qui se profile mettra un terme aux rêves de victoire d’Amédée…
De cette histoire fondatrice, quasi mythique, Christian Lax donnera une suite quelques années plus tard, ce sera « Pain d’alouette », un dyptique publié en 2009 et 2011.
C’est dans un paysage de brumes, lugubre et ravagé par la Grande Guerre que s’élance le Tour 1919. La liste est longue des champions qui ont laissé leur vie dans les tranchées, Amédée est de ceux-là. A la luminosité du premier album qui nous emmené vers les cimes dans le sillage des premiers défricheurs de grands cols, succède la noirceur des mines et de « l’enfer du Nord ». Le fameux Paris-Roubaix. Course de souffrance, de trépidation, elle exige des coureurs qu’ils aillent au bout d’eux-mêmes dans la pluie et la boue, au mieux dans la poussière quand le soleil est de la partie. Lax restitue cette atmosphère avec maestria dans un traitement graphique d’une extrême densité.
1923. Nous retrouvons Camille Peyroulet sur le bord de la route. Il croise Fernand, un ami d’Amédée, qui lui apprend qu’Adeline est morte peu de temps après son mari et que leur fille Reine à été placée en orphelinat. Camille n’aura de cesse de retrouver Reine et d’obtenir sa garde. Le récit prend des allures de chroniques sociales, Lax évoque la condition des femmes, le dur labeur des mineurs. Les scènes du fond du trou sont spectaculaires et éclipsent même la course cycliste. Les forçats de la route se confondent avec ceux de la mine et c’est toute une galerie de « gueules » qui prennent vie sous la plume alerte de l’auteur.
Enfin « L’Ecureuil du Vel’d’Hiv », publié en 2012, célèbre l’amitié de deux frères pendant la seconde guerre. Sam champion de la piste et Eddie, hémiplégique, qui rédige des chroniques pour la presse clandestine. C’est un monde de parieurs, d’entremetteurs, de combines que Lax met en scène très sobrement. Le Vélodrome d’Hiver ne résonne pas que des cris des supporters mais aussi des appels de détresse de ces milliers de personnes entassées en son sein en route vers un destin incertain…
Lax rend hommage à tous ces « ténébreux », ces humbles qui s’engageaient dans la course pour s’extirper de leur condition. C’est tout le petit peuple de France qui est évoqué dans « L’Aigle sans orteils » et dans « Pain d’alouette » avec une précision historique et sociologique irréprochable. La course cycliste, qu’elle quelle soit, sert de file rouge à l’auteur pour ciseler des portraits d’hommes ordinaires qui le temps d’une course ou d’un acte héroïque deviennent grand. Lax rend aussi hommage à ces belles plumes du journalisme sportif, on croise d’ailleurs Albert Londres, qui ont magnifié ce sport dés 1903 puis dans l’entre-deux guerres en lui donnant une dimension épique.
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