Samedi 21 Avril, un jour avant le grand chambardement politique, se trame l’évènement le plus important de l’année pour qui préfère fouler le parquet froid d’un indé plutôt que la moquette traître d’un supermarché culturel: le Disquaire day. Dans ce champ d’après bataille où il est encore temps de retarder l’invasion des mauvaises herbes, ce rendez-vous indépendantiste ratisse étroit mais profond. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Mais noyé dans l’actualité citoyenne et aveuglante des présidentielles, l’évènement se pose déjà la question de savoir si cette date ne risque pas de l’enquiquiner tous les cinq ans… Des ruelles piétonnes au parfum volcanique, une façade de magasin figée dans son charme de trentenaire et un patron qui roule ses clopes lui-même sont autant d’indices qui nous confirment que nous sommes au bon endroit. Entretien spontané et cru: it’s only rock’n’roll.
Salut Spliff, comment va le business?
Ecoute, ça va pas trop mal. On a eu un peu chaud aux fesses en 2003-2004, quand les gens ont commencé à télécharger en masse et à se dire: « youpi! tout est gratuit »; mais depuis le retour du vinyle, ça va vachement mieux. Qui l’aurait cru? Même pas les parents des gamins de 16 ans qui achètent du microsillon aujourd’hui!
Ils repartent avec quoi en général les gamins de 2012?
Avec une bonne cure de Rock classique! Led Zep, Dylan, les Stones, le Velvet… J’te jure, ils repartent avec la banane!
Ca contrebalance avec le CD qui se casse la gueule…
Doucement mais sûrement… On essaye bien de faire de jolis digipack et de belles éditions, pourvu que ça dure, mais le vinyle, c’est et ça a toujours été un putain d’objet, un cadeau que tu reçois en te disant: « purée on ne s’est pas foutu de ma gueule! Branche ta platine et let’s rock buddy! »
Explique-nous le principe du « Disquaire day ». Je veux l’entendre de la bouche d’un indépendant, un vrai…
Alors en fait le « Disquaire day », c’est la journée des disquaires indépendants qui a lieu ce samedi (21 avril). Pendant cette journée on propose pleins de références et de disques en édition limitée, disponibles uniquement chez nous et généralement très vite pénuriques. En gros, tu as une journée et basta! Avis aux lève-tôt (rires)! Juste histoire de montrer ques les indépendants ne sont pas morts, même dans une ville moyenne comme Clermont-Ferrand.
Justement, Clermont-Ferrand sans Spliff ne serait pas cette « capitale du Rock » comme on l’entend partout…
Haha! La capitale du Rock! La salle de la Coopérative de Mai y est pour beaucoup dans tout ça, en programmant toujours du lourd niveau indé, bien loin des zéniths environnants qui pensent amortissement avant divertissement. Et puis bon, Spliff c’est une histoire qui a déjà trente ans… (la boutique a ouvert en 1981).
Depuis quand vous jouez le jeu du Disquaire day chez Spliff?
Alors en fait on a commencé avant même que le phénomène ne s’officialise dans la France entière. On suit pas mal la presse musicale US, eux organisent cette journée depuis environ sept-huit ans, à peu près comme nous, en fait. La différence avec aujourd’hui c’est que les médias, les Inrocks en tête, l’annoncent et créent un buzz monstrueux là-dessus. Je me souviens des premières fois où on organisait des showcases dans le magasin en poussant les bacs tant bien que mal (rires)! Nos clients fidèles ont toujours participé à ces évènements et depuis deux ans, ce Disquaire day attire aussi des curieux. Il ne manque plus qu’ils fassent des petits et tout le monde sera content (rires)! Mais attention, des passionnés!
Les groupes que tu invites en showcase tu vas les chercher dans le vivier clermontois?
Oui oui, on invite des groupes de Clermont, des copains à nous qui ont déjà quelques disques à leur actif.
Pour le Disquaire day, vous vendez pas mal de single 45 tours pendant que de l’autre côté, le marché du CD single est quasi mort.
Tu sais, en ce qui concerne le single/maxi CD, on avait prévu le coup depuis longtemps. D’une part parce que c’était illogiquement cher, et en plus ça ne correspondait plus trop à notre clientèle. Aujourd’hui, quand tu les travaille sur la journée du Disquaire day, il y a le côté collector du truc, il y a plein de gens que ça intéresse…
Sans oublier que le single vinyle 45 tours a quand même une autre gueule que le Britney Spears de supermarché…
Carrément! De toute façon elle ne saurait même pas ce qu’est un picture disc…
Tu prévois de recevoir quelques trésors?
Il y a quelques trucs sympas, ouais, mais du fait de cette médiatisation, certains labels ont gonflé les prix alors attention. Il faut trouver un juste milieu et ne pas tomber dans le panneau. Parce qu’il ne faut pas rêver non plus, on ne va pas vendre un inédit des Stones période « Brown Sugar » ou une jam session de Jimi Hendrix et Jim Morrison! Ca reste des choses prévisibles. Jolies mais prévisibles. Alors peut-être que certaines prendront de la valeur avec le temps, faut voir… De beaux coffrets, de belles éditions, oui, mais pas des articles surcôtés. Je suis vigilant sur l’offre, je suis là pour vivre, pas pour entuber les gens. Et puis on est à Clermont-Ferrand, pas à Paris.
Il existe également le « black friday », autre journée dédiée aux tirages limités…
Oui oui, uniquement aux US. Mais j’ai le sentiment qu’il vont un peu tuer le truc en enchainant les journées dites « spéciales ». Et en plus, à la base, c’est né d’une idée complètement parano, disant que si tu réussi ton black friday – le troisième vendredi de Novembre je crois – tu feras une bonne fin d’année niveau ventes… Mais bon, en France on n’est pas parano ni superstitieux, c’est bien connu! Tu feras gaffe à l’échafaudage sur ta droite en partant… (rires).
Un groupe, selon toi, qui ne jouera jamais le jeu du Disquaire day? Il y en a un paquet, choisis le bien…
Quand tu vois que même Johnny Hallyday sort un truc pour le disquaire day… Vade retro!
Pas sûr qu’il soit au courant…
Haha! Tu veux pas l’appeler? En PCV direct to Los Angeles! il doit être 3h du mat’ là-bas, t’as une chance de le choper! (rires)
Bon il y en a certains qui ont contribué à la renommée du disquaire day, peut-être pour garder encore une légitimité indé. On pense à Blur…
Ah oui! Et c’est d’ailleurs Metallica qui a lancé le truc. Histoire de se venger de Napster! L’année d’après, certains artistes se sont eux-même proposés comme Tom Waits, Mac Cartney… Des mecs que tu pensais à des années lumières de se soucier de la survie des disquaires et paf! « Sir » Paul écrit au fondateur du disquaire day et enfourche sa gratte pour l’occasion! Chapeau.
Du coup pour remercier l’ex-Beatle, tu as vendu des tonnes de son dernier disque « crooner pour mémée »?
Rha non! Quel horreur! Tu n’as pas vu la limite d’âge à l’entrée? (rires). Non je déconne, respect à Mac Cartney mais bon ici on a plus une clientèle pour un « Sgt Pepper » que pour du lexomil en 33T…
La grande force des disquaires indépendants, c’est le charme que l’on ne retrouve pas dans les supermarchés du disque. Un truc space, un peu comme une gonzesse qui a du charme sans trop pouvoir l’expliquer, un magnétisme que tu as à vie malgré les crises, le vieillissement, les modes…
C’est vrai. A mille lieux de la grosse bombe que tu peines à reconnaître au petit matin! (rires).
Finalement, être disquaire indépendant à Clermont-Ferrand, c’est encore un peu classe, malgré la puissance d’internet au niveau de l’offre en vinyle…
Tu sais, moi le premier, je vais voir de temps en temps sur amazon ce qui s’y passe, mais encore une fois, un site internet ne tient pas la conversation que l’on a pu avoir toi et moi (il fait allusion aux deux heures que nous avons passé ensemble à parler musique). Et puis au bout d’un moment, il a fait le tour des propositions selon certains « critères » électroniques et abstraits, il te propose d’abord un Nick Cave pour ensuite te ramener vers un Muse pour enfin finir sur un Rihanna…
Ceci dit, finir sur Rihanna…
Ne serait pas des plus déplaisants, on est d’accord… (rires)
Propos recueillis par Gyslain Lancement
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