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Vendredi 28 janvier, 21h51, en voiture entre Zurich et Bâle, branché sur DRS3 (la version suisse allemande de Couleur3), j’écoute sans écouter. « Tiens, bon titre funk » me dis-je. Rien de mieux en effet que du bon funk, bien roots par ces soirées hivernales, je commence à hocher la tête. Le deuxième morceau suit et me capte littéralement par son intensité non pas rythmique, mais émotionnelle. Je me mets à regarder le texte qui défile le long de l’écran sur l’autoradio.
Lentement vient s’afficher: C H A R L E S B R A D L E Y – H O W L O N G
« Tiens, connais pas » , l’animateur s’exprime dans une langue qui ne se marie que très peu avec le bon son que je viens d’entendre, pourtant je parviens à comprendre que ce Charles Bradley vient de réaliser à l’âge de 62 ans son premier album.
Puis c’est l’heure du flash info.
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Ce disque sorti le 25 janvier dernier est une pure merveille. Mais avant de vous en parler davantage, je vous brosse le portrait de notre homme, car son parcours n’a pas été des plus simple pour entrer dans les studios d’enregistrement.
Charles Bradley est né à Gainesville en Floride en 1948 mais a grandi à Brooklyn et y a passé une bonne partie de son enfance dans les rues. C’est à 14 ans que son intérêt pour la musique va réellement naître quand sa soeur l’emmène voir James Brown en concert à l’Apollo. Nous sommes en 1962, Bradley va être subjugué par l’énergie et le talent déployé par cet immense artiste. Et il est vrai que de voir le « parrain de la soul » sur scène est une expérience en soi!
Inspiré, il s’applique à la maison à reproduire les gestes de Brown, un balai à la place du microphone et rêve secrètement de devenir une star…
Contraint de subvenir à ses besoins, il quitte Brooklyn pour Bar Harbor dans le Maine, où il apprend le métier de cuisinier. Sur place, il s’entoure de quelques musiciens et commence à tourner dans la région, mais le groupe ne dure pas longtemps. Il reprend alors le chemin de New York et s’installe à Wassaic. Il y travaille alors comme cuisinier dans un hôpital pour malades mentaux. Neuf ans plus tard, il quitte son job et prend la route, direction l’ouest, en faisant de l’auto-stop. Son périple se termine finalement en Alaska et il y reste un certain temps avant de reprendre la route, direction la Californie. Là-bas, il officiera en tant que chef cuisinier tout en continuant à faire de la musique.
Quand il a été licencié de son poste au bout de 20 ans, Bradley décide de retourner à Brooklyn. Il vivra là de petits boulots jusqu’à retrouver une place de « Chef ». N’ayant jamais abandonné son rêve de devenir une star, il joue dans des clubs locaux comme le Black Velvet, attirant un public fidèle et, finalement, capte l’attention de Gabriel Roth de Daptone Records, qui a immédiatement demandé au chanteur de procéder à quelques essais qui ont aboutis à un single, « Take It as It Comes » . De fil en aiguille, Bradley enregistre deux autres singles avec Thomas Brenneck, guitariste de The Budos Band, sous le nom « Charles Bradley & the Bullets ».
Un matin, il se réveille et découvre chez lui son frère mort, tué par son propre neveu. Bradley est anéanti mais Brenneck lui suggère d’exorciser sa peine en musique. Il en résulte une paire de singles passionnés, enregistrés avec le Street Band Menhan, « The World (Is Going Up in Flames » et « Heartaches and Pain » qui respectivement ouvrent et ferment ce fameux album « No Time for Dreaming » paru en ce début 2011.
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Certes Bradley n’a pas eu une vie facile, il parle donc dans ses textes de la mendicité, de problèmes socio-politiques « Golden Rule » , de désespoir amoureux « I Believe in Your Love » , d’autres titres sont plus personnels, notamment « No Time for Dreaming » dans lequel il dit avoir trop pris au sérieux sa carrière, mais on se laisse transporter par chaque note tant le plaisir à l’écoute est immense.
Élevé au son de James Brown/Wilson Picket/Baby Huey, Charles Bradley est à l’aise sur ce terrain. Entre deux ballades, il ose pousser sa voix et ou même crier sur certains morceaux.
Jouant avec le chaud et le froid, il profite d’une complicité avec le groupe pour donner à celui-ci un instrumental, « Since your Last Goodbye » , petite merveille à l’accent latino et avant dernier d’une douzaine de titres funk et résolument « roots ».
Au premier abord, on se dit même que ça doit être un enregistrement des années 60, qui a été « dépoussiéré » et ressorti en 2011. C’est la réaction que j’ai eu d’ailleurs en écoutant les deux morceaux dans la voiture. Pourtant, même si l’album a été produit, il est vrai, sur bande analogique afin de retrouver l’âme de ce son, il y a tout de même une touche de modernité subtile, dans la rythmique ou la construction des morceaux. Les amateurs de nu-soul seront donc étonnés par les arrangements et transportés par l’émotion, ceux de la vielle école seront ravis de retrouver l’essence de l’âge d’or sur cet album.
Charles Bradley « No Time For Dreaming » – Behind the Scenes
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