« Un style n’est pas une religion. »
Qui l’eu cru qu’un jeune parisien aux innocentes allures de crooner puisse à lui seul mener son rêve à la réalité en faisant d’une harmonica une vraie arme de vie – compositeur, interprète, musicien, tout en se décrivant comme « warrior et perfectionniste », il a arboré l’Europe entière en s’époumonant dans son micro et son instrument.
A l’occasion de la sortie de son nouvel album « Sometimes Awake » sorti au mois d’octobre, sa maison de disque me donne rendez-vous à quinze heures trente pétantes pour une interview téléphonique. A seize heures, me dit-on « Charles a zappé, il est en train de faire ses courses ». C’est donc en m’imaginant Charles Pasi faire ses emplettes à Carrefour que la discussion se poursuit deux heures plus tard.
Je vais tourner l’interview autrement: qu’as-tu acheté en faisant tes courses?
Alors, des pâtes, du thon, du pâté… Rien de très extravagant, et sinon je te le dirais pas. (rire)
Ton parcours a t-il été tout tracé ou plein d’embûches?
Les deux, dans le sens ou je savais où j’allais, où je voulais aller et ce que je voulais faire. Je ne me voyais pas faire autre chose, c’était clair et ça l’est encore aujourd’hui.
Il y a eu des embûches mais tout a été plaisant, et il est vrai que je n’ai pas eu tout d’un coup. Mon parcours a été très échelonné, je suis passé d’écoles de musique aux p’tits bars, et tout s’est fait très progressivement et naturellement. J’ai eu ce que je voulais au moment ou je le voulais, sans frustration. Je n’ai pas connu le succès du jour au lendemain comme c’est arrivé à certains, tout est arrivé à point, on va dire.
Pourtant, vu comme tu es parti avec cet album, ça n’est pas impossible que cela t’arrives.
Disons bon, je suis content car il y a un bon accueil du disque, mieux que le précédent. Mais en même temps, tranquille, je ne suis pas Stromae et les choses viennent à une échelle que je contrôle. Ce que j’aime c’est avancer, et pour cet album il y a eu plus de temps passé sur la composition et l’écriture, et de réflexion.
Si je peux glisser un compliment, je préfère ce que tu fais à ce que fait à Stromae. Et tu m’as l’air bien modeste.
Merci. (rire) Bon, quand on aime vraiment la musique et qu’on a écouté des trucs comme Stevie Wonder, Ray Charles, Etta James, Janis Joplin, c’est compliqué de se prendre la tête car tu n’essaies même pas de te comparer. D’autant plus qu’avec le travail qu’il y a derrière, avec mes musiciens, l’énergie consacrée, ça aurait déçu beaucoup de gens que ça ne marche pas. Je suis hyper content de pouvoir être là et que ça intéresse les gens.
Tes textes sont-ils souvent inspirés de faits réels? Ou aimes-tu jouer avec ton imagination?
Oui, il y a des événements qui m’inspirent, ou des histoires qu’on me raconte, tout simplement. Après ce n’est pas du documentaire, ça se transforme. Mais souvent ça part de quelque chose d’assez précis.
Donc les textes de « Mama Song » et « Too Many Friends » partent de faits réels?
En l’occurrence ç’aurait pu m’arriver, mais ça n’est pas le cas au sujet de « Mama Song ». J’ai entendu tellement d’histoires sur ce thème, je dirais pas qu’il est récurrent mais quand même, et ça aurait pu très bien m’arriver. Pour « Too Many Friends », c’est cool que tu aies compris déjà, car ce n’est pas toujours le cas. On voulait faire le clip de celle là et en parlant de synopsis certains m’ont dit ‘c’est vrai, on a trop d’amis et on a pas le temps de les voir’. J’ai trouvé ça marrant que les gens ne tiltent pas. En effet, ça parle d’un couple qui se trompe mutuellement, et donc là je dirais oui, il y a une part d’autobiographie là-dedans.
Oser ce genre de thème est particulier, c’est à prendre à la dérision?
Oui et surtout, il s’agit là d’une histoire digérée. Je me suis rendu compte quand mon père m’a dit « C’est marrant, on dirait une chanson écrite par un mec qui a souffert et chantée par un mec qui ne souffre pas du tout », à propos d’un chanson que j’ai écrite auparavant »Farewell My Love », que je digérais les histoires avant d’en faire une chanson. Mes souffrances et mes joies je les vis, mais quand je compose je suis dans un tout autre état et il n’y a pas forcément ce côté dramatique. Quand quelque chose m’a fait souffrir, j’ai peut-être envie d’en faire quelque chose de léger, où je n’ai pas forcément envie de tomber dans le cliché et de plomber l’ambiance.
Comment s’est déroulé l’enregistrement en studio?
Pour cet album j’ai bossé avec Jean-Philippe Verdun, qui a fait beaucoup de musiques de films et réalisé beaucoup d’albums. J’ai auto-produit mes deux précédentes productions et donc je me disais qu’il était temps d’essayer de bosser avec quelqu’un. Je n’ai pas voulu déléguer tout le travail mais me suis dit que deux têtes valent mieux qu’une. Et j’en suis content car il y a des choses auxquelles je n’aurais pas forcément pensé et qui se sont avérées être de super idées. En studio, on a pris le temps; plusieurs jours d’écoute, jeté à la poubelle des choses que je n’aimais pas, et ça s’est étalé sur beaucoup de temps. Peu de jours au final mais sur un an, car encore une fois j’ai besoin de digérer les choses.
Es-tu du genre à déjà avoir tes prochains tubes dans ton iphone?
Je n’ai même pas d’iphone, j’ai un samsung tout pété qui ne prends pas de photos. (rire)
Pas du tout, je me réécoute déjà assez en studio que j’en peut déjà plus de m’écouter déjà en arrivant à la phase de mixage. J’ai un carnet où j’écris tout.
Tu as l’air de totalement t’auto-manager, est-ce que c’est gérable?
Oui. J’ai quand même un manager depuis trois ans, et ça m’aide vachement car ça me pèserait trop d’avoir personne. On gère bien, mais encore une fois il faut remettre les choses dans leur dimension, je ne vais pas m’acheter un appart demain.
Je suis tombée sur un interview ou tu disais ne pas aimer le rock, pourtant ta chanson ‘Wild It Up’ sur ton album précédent m’inspire du rock.
Oui, je ne viens pas du tout du rock. Tu as raison, cette chanson est un peu les seules influences que j’ai de rock américain des années quatre vingt dix, même si j’aime bien Queen ou Led Zep, ça n’est pas ce qui m’a le plus touché dans la musique. Quand j’étais gamin j’écoutais Rage Against The Machine, Offspring ou Nirvana. C’était plus un hommage à RATM, mais ça reste vraiment anecdotique dans mes goûts musicaux.
Que réponds-tu quand on te demande pourquoi tu n’écris pas tes textes en français? Penses-tu que la France est trop nombriliste?
Oui, un jour je discutais avec un mec qui me demandais pourquoi je ne choisissais pas d’écrire mes textes en français, et je lui ai répondu « et pourquoi Björk n’écrit pas ses textes en islandais? ». Les français sont très fiers de leur langue, à un point que ça en devient presque lourd. Je trouve que des tas de langues sont jolies; j’ai un père italien et je trouve l’italien très beau, je trouve à l’espagnol, que je parle aussi, un truc, même l’allemand quand il est joliment parlé ça a son charme. Je n’ai pas ce côté chauvin qui revient beaucoup en france.
Collaborer avec Grand Corps Malade, Carla Bruni… c’est pour faire plaisir, ou te faire plaisir?
Je trouve intéressant de travailler avec des gens différents et voir autre chose. Carla Bruni était produite par Louis Bertignac, à l’époque j’avais 22-23 piges et c’était une bonne expérience de studio et rencontre. Passer d’elle à Grand Corps Malade qui fait du slam, Archie Shepp qui vient du free jazz, collaborer avec un rappeur… Tout ça vient avec l’idée que la musique est la musique, c’est un feeling. Toutes ces frontières qu’il y a entre les styles me font bien marrer, un style n’est pas une religion. Avoir un poster de Bob Marley, des dreadlocks et fumer des pétards, ou un métalleux qui doit s’habiller tout en noir, j’ai pas ce truc là. J’ai écouté tous les styles, à partir du moment ou il y a de l’émotion.
‘Smile for the real judgment day’ est une des paroles de ta chanson ‘End of the World’. As-tu la foi?
Pas du tout, en fait c’est un peu ironique. Ca vient du fait divers autour de ce truc de la fin du monde en 2012 qui m’avait fait marrer. J’avais écris un truc ou je m’imaginais en train de rigoler en voyant les juges et les procureurs à genou prier devant cette histoire de fin du monde, donc c’est plutôt de l’ironie autour de ce fait divers.
Tu sembles être très inspiré par le facteur du temps; sur ton site-web on y parle de renaissance, du futur, des années soixantes. Mais que penses-tu de notre époque?
Ca m’inspire dans la mesure ou on a raté cette époque à rien du tout. Il n’y a pas des masses de révolutions culturelles, et je pense qu’un artiste peut s’exprimer quand il y a un terrain favorable. C’est vrai que parfois je me dis mince, j’aurais bien voulu être en boîte et écouter Hendrix et Pink Floyd plutôt que ce qu’on a aujourd’hui. Je me sens plus proche culturellement de la génération de mes parents que de la mienne. Je pense objectivement qu’on est aujourd’hui dans le creux de la vague.
Avec ce qui t’arrives aujourd’hui as-tu le sentiment d’avoir achevé enfin ton but?
Non! J’espère pas, sinon ça voudrait dire que j’arrive à la retraite et que je vais m’ennuyer. Cet album a été particulièrement difficile à faire pour plein de raisons, entre mes doutes et ceux des autres, le fait qu’il a coûté plus cher que prévu. J’ai pris l’initiative de jeter certains trucs, et tout ça c’est de l’argent que je n’avais pas forcément. Quand ce disque a été fini j’ai eu vraiment un sentiment de soulagement. J’étais crevé, mais je ne veux surtout pas m’arrêter là.
Ma grande trouille, c’est de ne pas être sûr d’avoir encore des idées, de faire des trucs qui ne soient pas nazes. En même temps ça fait partie du truc, tous les artistes que j’ai aimé ont fait deux-trois bouses dans leur carrière. Alors j’essaie de ne pas en avoir peur et faire en sorte d’avoir encore des trucs à dire.
Tu sembles avoir d’avantage d’audience féminine. Un mot pour elles, es-tu célibataire ou libre comme l’air?
J’ai l’impression que les filles s’expriment plus facilement publiquement, alors que les mecs sont plutôt pudiques. J’ai tendance à recevoir plutôt des messages privés de la part des mecs. Sinon, je suis très engagé en couple.
Laisser un commentaire