La science-fiction dans la bande dessinée est un genre qui a connu sa grande époque et qui depuis a du mal à se régénérer. Ayant posé des bases solides, parfois insurmontables, des auteurs comme Moebius, Druillet, Gillon, Caza, Christin ou encore Jodorowsky ont su donner aux univers les plus fantasmagoriques une dimension humaine puissante et révélatrice. Aujourd’hui, les séries sont sporadiques et leur qualité ne reflète plus les enjeux philosophico-poétiques des années Métal Hurlant.
Alors quand, au milieu du marasme de nouveautés, on découvre une couverture sobre, en noir et blanc, portant le titre énigmatique de CE, on s’interroge. L’intérieur est criblé de traits fins et précis qui forment sans peine des scènes au charme brut et léché. Ici, pas de fioritures, pas d’emballages marketing, mais une ambiance encrée, une histoire profonde et un style solide et efficace. Comme un bon roman, je dirais même ! CE se sent et se ressent comme un monolithe rempli de sagesse, de savoir-faire et de connaissance. Comme une impression d’être en possession d’un secret trop longtemps confisqué.
CE n’est qu’un pion d’un monde administré à l’extrême. Il est immortel, mais dénué de toute capacité créative ou imaginaire, trop usé et abasourdi par un système imposé et réglementé. Pourtant, un jour il reçoit une mission qui va l’emmener dans le Secteur Crécy, un endroit sous le monde, où les habitants sont enjoués, libres et plein de vie. Là il va vite apprendre qu’il est le dernier immortel à pouvoir encore rêver et qu’il pourrait être le salut de ce peuple coloré. En parallèle, un homme s’approche d’un immeuble étrange où il rencontra une humanoïde nommée S-29, qui l’embarquera dans sa fuite au-delà des mondes.
Deux récits se superposent et se rejoignent au rythme des pages, au rythme des révélations, l’un faisant écho à l’autre et vice-et-versa. Où est le rêve, où est la réalité ? Là n’est pas la question. Chacune des histoires portent ses propres événements, ses propres retournements et ses propres thématiques. On se laisse vagabonder et entraîner, sans vraiment comprendre, mais en sachant que tout cela à un sens et que tôt ou tard il nous sera révélé. On prend alors le temps et l’espace de s’immerger dans la psyché des personnages et des univers, en laissant venir les dénouements possibles. Comme un merveilleux dessert dont la cerise serait l’apothéose, on fait durer le plaisir de l’ignorance et de l’apprentissage. Car, comme ces deux personnages principaux, José Roosevelt nous balade d’une situation à une autre sans gants. Il nous donne d’abord la main, puis nous montre la direction à suivre, avant de nous laisser seul face aux questionnements philosophiques qui peuplent ses albums. En en apprenant plus sur CE, on en apprend plus sur nous.
Avec ce cinquième volume (sur un total prévu de 13), Roosevelt nous entraine encore plus loin dans l’onirisme et nous le rend encore plus familier qu’à l’accoutumé. Son style visuel nous déconnecte encore une fois et la saga prend son rythme de croisière, l’occasion parfaite pour relire le début de cette aventure qui renouvelle les grands thèmes humains au rythme de l’imaginaire.
Véritable coup-de-cœur de votre humble serviteur, CE se résume pour moi en trois mots : passionnant, enivrant, éblouissant.
José Roosevelt sera en dédicace à l’Espace Passion BD de la Fnac Lausanne, ce samedi 16 avril, dès 15h.
Voir aussi le site de José Roosevelt, où vous découvrirez les multiples casquettes de cet auteur, peintre et éditeur.
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