Qui a dit que l’on s’ennuyait en Valais? D’accord, ici nous ne sommes qu’aux portes du royaume de la petite Arvine, et pourtant le Pont-Rouge a les arguments pour nous étourdir en cette rentrée 2011. Programmer Cascadeur était tout sauf un pari risqué. Dans la réalité, celui qui se fait appeler Cascadeur se nomme Alex Longo. Peu important, ce soir nous avons rencontré un artiste qui fait de la musique pour ne rien avoir à regretter, les fantômes de Pink Floyd et de Christophe en toile de fond. En proposant avec « Human Octopus » une pop fragile et délicate, Cascadeur faisait ravaler leur langue à ceux qui omirent de la tourner sept fois dans leur bouche, ceux qui déclaraient d’un oeil minimaliste que porter un casque sur scène n’avaient d’autre ambition que de plagier Daft Punk. Erreur sur la personne. Quelques heures avant un show ravissant, la Fnac a voulu en savoir plus sur Cascadeur. Interview sans trucage.
Cascadeur, vous êtes une des belles surprises de 2011. Votre premier album fait partie de ceux qui interpellent visuellement dans un rayon disques. En se renseignant un peu plus sur vous, il paraît que ce fut dur de se lancer dans ce costume de « cascadeur ». Expliquez-nous.
Ce n’était pas tant avec ce costume, c’était plutôt de lancer et de faire vivre mes morceaux. Je l’ai vécu comme un casse-tête, j’appréhendais ce moment-là car ce sont des titres assez intimes qui exploitent des zones un peu secrètes. J’étais confronté à une sorte de situation extrême, c’était soit je ne le fais pas et ça restera un des regrets de ma vie, soit je le fait et je vais apprendre des choses. Une fois que j’ai été pris par mon concept, ma panoplie, mes instruments, il y a eu une sorte de frénésie qui fait que je m’amuse tout en me faisant plaisir, aujourd’hui.
Est-ce que cette hésitation fut une manière de reculer pour mieux sauter, si l’on déforme un peu le sens de l’expression?
Peut-être effectivement, c’est à la fois simple et compliqué parce que je côtoyait la scène depuis pas mal de temps avec des amis, des groupes, mais j’étais plus un homme de l’ombre. D’un coup il y a eu cette dualité, ce truc un peu impérieux de se dire que ce que l’on fait chez soi est important et que l’on a pas envie de disparaître. L’idée d’apparition et de disparition est d’ailleurs quelque chose qui m’intéresse beaucoup. Pour apparaître, il fallait, quelque part, que je disparaisse.
Choisir le nom « Cascadeur », vous est venu d’une petite figurine avec laquelle vous jouiez étant gamin. Avec le recul, auriez-vous imaginé un seul instant la portée de ce jouet?
Non pas du tout. En plus, c’est marrant parce que c’est un jeu qui m’a marqué mais je n’y ai pas beaucoup joué. Il avait un grand défaut, surtout pour l’impatient que je suis. En fait, quand il touchait le sol, il se démontait en mille morceaux (rires). Donc tu mettais un temps fou à le remonter, c’était une seconde de bonheur pour un quart d’heure de labeur. Je suis vite passé à autre chose. C’est ça qui est drôle, il y a un rapport disproportionné entre l’impact que ce jouet a pu avoir et le temps effectif passé en sa compagnie. Mais bon, c’était l’idée du fantasme, ce jouet était peut-être trop bien pour moi, inaccessible…
Vous avez commencé la musique très jeune, le piano à 8 ans. L’enfance, tout part de là? L’enfant qui s’amusait a fait naître le songwriter que vous êtes?
Oui oui même si j’estime que ce que je fais est très archaïque. C’est-à-dire que ce qui m’interpellait, c’était pas tellement mon enfance, parce que bon elle n’est pas forcément captivante, ce n’est pas ça qui est intéressant, mais plutôt « nos » enfances, sans pour autant les béatifier. Après, tout se construit avec le vécu, les zones d’ombres, le désespoir, mais c’était aussi une sorte de fidélité à des parties de nos vies que parfois on néglige. Moi je crois vraiment que l’on construit beaucoup de choses dès l’enfance. Nos vies sont antérieures. Ma position n’est pas régressive, c’est plus pour plonger dans des nappes oubliées, des choses fantomatiques. Il y a tout un travail sur l’aspect irrémédiable du passage du temps.
Le casque que vous portez sur scène, a beaucoup fait parler et pour le coup, il marque une distance. Est-ce que l’on peut apparenter ce casque à une carapace bien visible?
C’est vrai que de prime abord, il y avait plusieurs idées qui me plaisaient. Déjà, l’homme de l’ombre, qui est de toute façon une constante. Ensuite, cela me semblait assez drôle, surtout quand on sait ce que je fais, cela suscite de l’étonnement, les gens ne s’attendent pas forcément à cela. Cet espèce de paradoxe me plaît. C’est comme de faire de la boxe en tutu (rires). Il y avait aussi l’idée de projection et d’imagination que peut renvoyer un tel costume qui en dit beaucoup et qui en même temps ne dit rien, parce qu’il est fait de brique et de broc. Je voulais interroger un peu cette fragilité, magnifiée ici par l’aspect dur et impénétrable du costume. Sans doute parce que ça frémit à l’intérieur du casque, car il se passe énormément de choses dessous.
« Human Octopus » est une synthèse de vos auto-productions précédentes, cela montre bien que dans la vie d’un artiste, il ne faut rien jeter. Il suffit de sortir les choses au bon moment, avec un bon concept?
Bien sûr, ce dont on parlait précédemment l’illustre parfaitement. « Human Octopus » mon premier album officiel, est en fait mon 4ème album. Les 3 précédents ont été faits en totale indépendance et quand je parle de l’enfance, ce n’est pas forcément l’âge circonscrit entre 0 et 7 ans, mon enfance a été au moment de ces 3 premiers albums, c’était l’enfance de Cascadeur. Vous me direz, qu’est-ce que l’enfance? Je dirais que c’est ce temps-là, le temps qui passe, et ce fut particulier car je me suis inscrit en fantôme de mes morceaux quand je les ai revisité. Je suis revenu dans ces choses poussiéreuses, c’était un drôle de périple. Quand je pense à la suite, j’ai moins envie de l’ancrer dans le passé. J’ai une sorte d’avance, j’ai du temps derrière, et donc j’ai plus envie de mêler une forme d’actualité dans ma musique, de faire des choses plus contrastées.
Actuellement, beaucoup de groupes français chantent en anglais et le succès est au rendez-vous. On pense à Aaron, Cocoon, Yodelice… Est-ce qu’à votre avis, chanter en français implique un « héritage variété » trop lourd à surpasser? Utiliser l’anglais permet de se décomplexer?
Chanter dans une autre langue, ça aide, c’est un peu comme un masque. Encore une fois, c’est ambigu et compliqué car en France, on ne côtoie pas tellement les langues étrangères, on est un peu fragile là-dessus. Moi je suis toujours anxieux de cette perception de la langue et c’est vraiment un truc important pour moi. D’un côté je me dis que c’est sans importance, nous sommes tous des immigrés; quand tu penses à Bjork, tu sais bien qu’elle ne vient pas de Liverpool (rires) mais tu te dis que ce qui nous intéresse, au final, c’est son étrangeté. Sans me comparer à elle, je me dit que peu importe, finalement; j’ai sans aucun doute un accent, comme chaque individu. C’est en même temps un faux débat mais étrangement, j’y suis sensible, d’autant plus que c’est une langue que je n’emploie que sur scène. C’est assez bizarre, un drôle de rapport qui me fait sentir à la fois complexé et libéré dans l’écriture. Je fais des associations de mots parfois peu orthodoxes qui peuvent donner en fin de compte, un petit charme à mes textes.
Comme beaucoup d’artistes, vous avez sûrement dû voir des portes se fermer, pour cause de non-compatibilité avec les « tendances ». Ce mot « tendance », on en devient allergique quand on propose une musique sincère comme la vôtre?
J’ai un parcours un peu spécial, un certain nombre d’expériences heureuses et malheureuses avec les professionnels du monde de la musique. La percée d’un projet n’échappe pas à des courants. Quand je lis une critique négative qui catalogue tout comme « coup marketing », ça blesse forcément car quand j’ai commencé il y a 5 ans, j’étais déjà comme ça. Je ne fais pas de la musique pour m’inscrire dans une sorte d’actualité du masque mais je trouve qu’il y a pas mal d’artistes qui ont ce masque. On a tous un désir mais pas les mêmes motivations. Après en musique, il y a cette culture de la démonstration, se montrer à tout prix, chose qui m’ennuyait beaucoup. Ma galère fut sensible, mais j’ai eu un bon accueil. En tout les cas, je ne vis pas dans une sorte de revanche, j’essaie de comprendre et de me dire que c’est déjà extraordinaire de vivre ce que je vis, malgré les doutes.
Vous avez collaboré avec Midlake, le genre de groupe avec Fleet Foxes pour lesquels on se dira dans 20 ans: putain ce que c’était bien. C’est aussi la destinée espérée pour « Human Octopus »?
Je ne me compare pas à eux. Je suis fan de Midlake. Après 5-6 concerts en leur compagnie, un truc sympa s’est mis en place. J’étais un parfait inconnu pour eux, la rencontre fut complètement désintéressée, ils auraient pu s’en foutre mais leur simplicité m’a rassuré. Sans aucun aspect concurrentiel, j’ai osé leur proposer de collaborer (sur les chansons « Walker » et « Into the wild ») et on s’est revu, on s’est écrit. Je pense à eux souvent, c’est chouette.
Dans votre musique, on ressent pas mal d’influences. Du Beatles, du Christophe, du Pink Floyd. Savez-vous qu’en cette fin d’année EMI réédite tout le catalogue des Floyd, agrémenté de bonus. Qu’en pensez vous? Les technologies et les modes avancent, mais on ne peut plus vivre sans le passé? C’est comme une bible que l’on doit transmettre?
Je vais déjà en profiter pour m’acheter l’intégrale de Pink Floyd (rires). Plus sérieusement, tout ça est une filiation. Pour ignorer le passé, il faut le connaître. Et le problème, c’est que des gens veulent l’ignorer et ce n’est pas possible. Les Floyd font partie de ces explorateurs, ces avant-gardistes, ces créateurs exceptionnels qui en font des jalons indispensables. Et l’électronique n’a jamais gommé le fait qu’ils étaient d’excellents instrumentistes. Ces gens capables de tout jouer, c’est fantastique. Le « live at Pompéi » ou « the Wall » montrent une force et une puissance à peine croyable, une densité créatrice exemplaire que l’on n’a pas fini de contempler.
Propos recueillis par Gyslain Lancement.
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