Chaque lundi, aux alentours de 16h30, votre humble serviteur Florian De La Fnac chronique un manga de son goût: une découverte, un classique ou une curiosité.
Cette semaine : Bonne nuit Punpun de Inio Asano, chez Kana.
Après le petit succès de La fin du monde, après le lever du jour (voir chronique Inio Asano : beauté et fatalisme), Inio Asano nous revient avec Bonne nuit Punpun, une série qui prouve que son auteur évolue encore, et dans la meilleure des directions.
Punpun est un pré-adolescent. Il est timide et n’a pas beaucoup d’amis. Ses rêves sont étranges et quand il va mal, il appelle Dieu, une tête figée surexcitée. Son père bat sa mère, jusqu’à l’envoyer à l’hôpital et son oncle vient s’occuper de lui. Punpun est mélancolique. Il ne comprend pas vraiment comment fonctionne les gens qui l’entourent. Mais comme tout le monde, il a un grand besoin d’affection. Alors lorsqu’Aiko, une nouvelle élève, arrive dans sa classe, il en tombe vite amoureux. Il ne sait pas ce qui lui arrive. Ce mélange de peur et de bien-être. Puis, Aiko le remarque et s’entiche de lui. Punpun veut lui plaire, être parfait pour elle. Il ment. Et quand elle l’apprend, elle lui dit « Si jamais tu me trahis encore une fois, je te tue ». Désorienté, Punpun la prend au pied de la lettre et les angoisses grandissent. Enfin, il y a cette étrange vidéo, dans laquelle un homme avoue le meurtre de sa famille et que les corps sont cachés dans une usine désaffectée. Punpun s’est fait des amis finalement et ils vont explorer cette usine, à leurs risques et périls…
Déjà auteur d’une dizaine de manga, alors qu’il n’a que 31 ans, Inio Asano explore encore une fois la psyché japonaise, en y apposant sa dimension sociale si particulière. Le génie de l’auteur nous saute très vite aux yeux rien que dans la conceptualisation de Punpun. Représenté grossièrement par un croisement entre un poussin et un pingouin, il ne parle pas… pas directement du moins. Certaines fois, le narrateur le cite dans des encadrés, mais ça s’arrête là. Punpun n’a pas non plus d’expressions, il est neutre, le plus neutre du monde. Il ne vit pas sa vie, il l’a subit, pour l’instant en tout cas. Le contraste avec le reste du graphisme et les autres personnages bavards fait donc de ce personnage le parfait réceptacle des émotions du lecteur. On s’identifie quasi-immédiatement avec lui. On a l’impression d’être son grand frère, on aimerait lui parler, le rassurer. Le récit se trouve du coup rehaussé par ce rapport émotionnel fort entre nous et le personnage, chose de plus en plus rare dans n’importe quelle forme de récit contemporain.
Comme dit plus haut, Punpun est un étranger dans ce monde qu’il ne comprend pas et qui ne le comprend pas. Il se réfugie donc dans ses pensées, souvent imaginaires, mais aussi dépressives. Asano utilise aussi ici une technique novatrice et encore témoin de son génie : la création d’un univers propre à Punpun, qui ne fait référence à rien de déjà existant. Il interprète à sa manière chacun découverte et chaque évènement de sa courte vie. Le premier schéma du sexe féminin devient une invasion extra-terrestre de vagins en colère. Sa première idée du bonheur prend la forme d’une petite planète, hommage à St-Exupéry, où lui et Aiko pourraient vivre en paix. Sa première envie de mourir se symbolise par un parapluie volant, qu’il prendrait pour atteindre les étoiles. Et puis, il y a Dieu bien-sûr. Ce personnage hystérique qui donne à Punpun des conseils directs, parfois affligeants. Représenté par un visage toujours souriant, il n’aide pas vraiment Punpun et on comprend assez vite que ce Dieu est la « petite voix », qui rabaisse. Asano insère donc une dimension fantasmagorique à son intrigue et tout colle, même si ces passages sont complètement décalés. Ils n’entachent en rien l’identification, mais au contraire l’appuie par son étrangeté.
Mais au-delà de ces caractéristiques techniques, Bonne nuit Punpun nous raconte une histoire touchante et universelle. Celle d’un petit garçon qui découvre la vie et commence déjà à sentir le roussi de celle-ci. Enfermé dans ses peurs et ses fantasmes, il essaie d’être ce qu’on attend de lui, en vain. Car chacun le sait, c’est en étant soi-même que l’on gagne le respect d’autrui et pas en se calquant sur leurs attentes. On espère simplement que Punpun se relèvera de toutes ces épreuves, avant de comprendre et de vraiment commencer à vivre. Complexes inhérents à la condition humaine, on se reconnait en eux de manière parfois infantile, parfois nostalgique. Bonne nuit Punpun nous attrape au cœur, à nos questions existentielles et à nos problèmes sociaux personnels.
Et moi qui étais dubitatif de voir un auteur faire de mieux en mieux, différent dans la même veine, mais toujours sur la pente ascendante !
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