Les comics aficionados vont être contents! Déjà annoncé l’été passé, le rachat de la licence DC Comics par Dargaud pour la francophonie (auparavant tenue par Panini Comics) est devenu effectif ce jour-même. Nommé Urban Comics, ce nouveau label du meilleur éditeur de BD français ne perd pas de temps et ouvre son catalogue avec rien de moins que Watchmen.
Pas de doute alors que ceux qui sont aux commandes s’y connaissent, car la première chose à laquelle ils se sont attelés est de réparer l’erreur commise en 2009 par Panini : retraduire les Watchmen, le sacro-saint de la BD mondiale. Une erreur qui avait fait grincer des dents la plupart des puristes et amoureux du comics. On y trouvait des erreurs de traduction tellement énormes qu’ont aurait pu croire à une mauvaise blague ! Dès la première case, « I have seen its true face. » est traduit par « Je connais son visage. », alors que dans la traduction originale du grand Jean-Patrick Manchette, on pouvait lire « J’ai vu son vrai visage. », qui est littéralement correcte.
Toujours sur cette même page, le policier se penche à la fenêtre d’où le Comédien a été jeté et se dit à lui-même « That’s quite a drop. », qui dans la version de Panini donne « Vache de valdingue ». Est-ce que quelqu’un à déjà entendu cette expression ? Si oui, laissez un commentaire plus bas, pour que je me couche moins idiot ce soir !! La traduction est certes difficile, car cet idiome anglais peut avoir plusieurs sens figurés. Ne se contentant que rarement du sens propre des mots, Alan Moore aime travailler la langue et lui donner plusieurs dimensions. On laisse donc tout de suite tomber la possible traduction « Quelle chute ! », car elle ne rend pas honneur au travail du monsieur, qui peut passer plusieurs heures sur une seule et même phrase, selon ses dires. Panini a donc opté pour « Vache de valdingue », qui même si on met de côté sa consonance vulgaire ne reflète rien du double-sens moorien présent ici. Un double-sens d’autant plus important qu’il donne le ton et annonce toute la suite de l’histoire.
En effet, le meurtre du Comédien est l’élément déclencheur de l’intrigue et cette réplique en particulier nous dit que cet événement va bouleverser tout l’univers des personnages et plus largement la conception même du comics. En français, l’expression « Jeter un pavé dans la mare » est juste, mais sonne mal à l’oreille et est trop frontale. Manchette, lui, la joue fine et nous propose « Méchante gerbe. », une traduction plus fidèle au sens original et qui amène une nouvelle dimension. Tout d’abord, il respecte l’interaction image-texte, puisqu’on peut très bien imaginer qu’une personne ivre ai pu vomir depuis la fenêtre dans la rue. Le sens propre est donc respecté. Puis, on comprend le double-sens de quelque chose qui tombe et va forcément entrainer des conséquences à l’atterrissage. Le sens figuré original est également respecté. Enfin, Manchette prend la liberté d’y mettre un second double-sens, créant ainsi un triple-sens, et ce dans une seule bulle ! Le terme « Méchante » nous annonce, en effet, que les conséquences de l’élément déclencheur seront négatives, que les personnages vont souffrir et que le happy end n’est pas du tout garanti. J’extrapole certes légèrement, mais l’intention est bien là ! En plus de respecter les divers sens mooriens, Manchette utilise donc la richesse de la langue française pour appuyer encore plus l’aspect littéraire et poétique de Watchmen et y apporter une dimension inédite.
Des erreurs de traduction bien plus grosses suivent sur chacune des 405 pages qui composent ce monument de la BD. On se demande alors pourquoi Panini a pris le risque de retraduire cette œuvre et surtout pourquoi ils ont cherché la difficulté en évitant les traductions littérales (voir le premier exemple plus haut) ? Le mystère reste entier, d’autant plus que Panini ne cite nulle part le nom de celui ou celle qui a retraduit Watchmen en 2009 !
Bref, tout ça dire que je suis très heureux que la traduction de Manchette soit à nouveau disponible. Et loin de ce contenté de ça, Urban Comics nous fait l’honneur d’éditer la version Absolute en format 28X18 (au lieu de 31X21), ce qui rend son prix du coup beaucoup plus attractif : 51.70.-, au lieu de 114.70.-. On retrouve ainsi le même contenu : une postface de Moore et une de Gibbons, le dossier de présentation écrit par Moore pour les éditeurs de DC Comics, des extraits du scénario et les story-boards correspondants, des études de couvertures et enfin toutes les couvertures originales des douze épisodes. Le tout avec une qualité de papier et d’impression à toute épreuve !
Je ne peux donc que conseiller à ceux qui ont découvert Watchmen avec le film de Snyder en 2009 et qui ont acheté la version de Panini, de relire cette œuvre magistrale dans sa traduction d’origine et à ceux qui n’ont pas encore lu Watchmen de le lire… et sur le champ !!!
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