A tous ceux qui n’avaient jamais eu l’honneur de les voir en concert, Montreux leur offrait ce privilège. Cette soirée était peut-être la plus attendue de ce 45ème Jazz Festival. Et pourtant, pas de trompettiste épileptique ni de pianiste « free-égoïste » à l’affiche, simplement le plus gros succès mainstream ayant émergé du rock indie durant cette décennie: les Arcade Fire. Cette césure en plein milieu de la quinzaine montreusienne va à coup sûr annoncer la couleur de ce qui reste de l’été: spleen ensoleillé sur chaleur radieuse. Couverts d’hommages (de Bowie à Springsteen), portés par des critiques positives et des ventes explosives, ce n’est pas en grappillant les parts du dancefloor qu’Arcade Fire a construit son succès. Leader discret de la bande mais sûr de lui, Win Butler est un gagnant, affirmant avec subtilité qu' »il a toujours voulu vivre de sa musique. Dans sa famille, être musicien, c’est comme être comptable, le choix de carrière le plus normal que vous pouvez effectuer ». Merci d’avoir fait le bon choix. Non contents d’avoir gagné un respect légitime sur chaque scène qu’ils foulent, les membres du groupe s’investissent beaucoup dans l’humanitaire. Motivés naturellement par la multi-instrumentiste autodidacte (et épouse de Win) d’origine haïtienne Régine Chassagne, ils ont sobrement aidé à la lente reconstruction d’Haïti. Respect. Pas sûr que Ricky Martin ait mis une fois les mains dans la mélasse pour rebâtir des favelas. Suite au troisième album « The Suburbs », ode habituel à la vie mélancolique des banlieues canadiennes, Arcade Fire arrivait à Montreux dans un costume taille patron.
Mais intéressons nous d’abord à la première partie de luxe programmée dès 20h. « Il adore le chocolat suisse et porte une montre de poche ». Présenté ainsi, James Vincent Mac Morrow, sorte de clone vocal de Bon Iver et musical de Ray Lamontagne, se mettait subitement le public dans la poche. La presse culturelle s’est beaucoup penchée sur le cas de l’irlandais a la voix d’ange. Un emballement tel que l’on doit lui tirer notre chapeau, seul accessoire manquant a sa panoplie country-folk de ce soir: un auditorium Stravinski aux trois quarts plein pour une première a Montreux, c’est déjà pas mal. Découverte à la fois douce et sacrée, emprunt d’une fragilité presque absolue, bavard entre les morceaux, inutile de forcer l’indulgence envers Mc Morrow qui a su étirer son show une heure trente durant, qui plus est avec un seul album à proposer, agrémenté d’une pincée de reprises bien personnelles. En arpèges délicates et au terme d’un concert d’humeur acoustique, James Vincent n’aura pas fait subir de pincements qu’à ses cordes mais aussi a nos coeurs. Sa folk n’a rien d’exaltant mais pinçons nous, ce soir on a presque rêvé. Ce que l’on peut lui souhaiter de meilleur? Un destin médical tout bonnement différent des autres irlandais ayant marqué historiquement le festival: Rory (Gallagher) et Gary (Moore).
Les seuls Arcade Fire retenant toute l’impatience de l’assistance avaient une mission: ne point faillir à leur nouvelle réputation de sauveurs sobres du rock. 21h45 et un départ timide vite oublié, Arcade Fire devient une machine. Aucune accalmie en vue. Les canadiens déroulent une pop saturée, le groupe se mue en une sorte de « The Band » électrisé labellisé nouvelle génération, et a vraiment trouvé « son » son, son pic de maturité – Arcade Fire ne ressemble à personne d’autre, c’est là leur grande force. Sans charisme, une prestation n’est rien. A voir l’incroyable Régine Chassagne, clairement le moteur scénique de la troupe, d’apparence petite et fluette cachée sous une tignasse à son image, frisée et excentrique, le concert de ce soir aura du mal à vous faire redescendre sur terre. Du haut d’un piédestal imaginaire, la haïtienne porte sans conteste la culotte du groupe. Si la vie des suburbs quebecois ressemble tant à ça, qu’est-ce qu’on attend pour déménager? Après tout, ce soir, ça ne nous a pas paru si loin le Canada…
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