Amusez-vous à taper « Akhenaton » sur Google. La popularité du rappeur marseillais surpasse de millions de clicks celle du Pharaon qui lui a donné son nom. Ajoutez-y Faf la Rage, l’acolyte qui ferait presque mentir les théories de Louis Pasteur. Vous obtiendrez le duo rap du moment, à la base du disque hommage « We luv New-york » (actualité oblige?). Le rap comme langage, le micro comme arme de poing, et la bonne humeur du sud comme leitmotiv, Akh et Faf la Rage étaient de passage au Chant du gros, pour le plaisir de centaines de festivaliers campagnards avides de rimes béton. De la Canebière à Brooklyn, il n’y a qu’un pas. Interview bouillabaisse.
Akhenaton, j’ai entendu dire que vous aviez une relation bien particulière avec la FNAC…
Akhenaton: Ouais on a fait de la pub pour la Fnac dans nos paroles! Tout le temps! Tu imagines pas le nombre de fois où on les a cité dans nos chansons! (rires). En fait on en parlait car on allait y faucher des CD quand on était plus jeune. Le magasin était au centre d’un quartier très populaire (Belsunce), un vrai centre de vie, et les quelques disques de rap qui arrivaient en import se retrouvaient dans cette Fnac, avant de finir dans nos poches. Le magasin subissait des assauts (rires). Moi même je suis parrain d’une Fnac à Marseille dans laquelle on a fait pas mal de showcase. Alors oui, on vit une histoire d’amour avec la Fnac, mais on ne s’est jamais gêné de dire ce que l’on pensait de la grande distribution et des magasins. Aujourd’hui, les marges sont trop élevées et en France cela ne nous permet plus de faire des disques. Heureusement sur le territoire Suisse, c’est une aubaine, certains distributeurs prennent des risques, au même niveau que nous on en prend en fabriquant l’album, en le travaillant pendant des mois… Honnêtement, chapeau à la Suisse.
Vous venez de sortir un disque hommage au rap de New-York. Aujourd’hui, je vous ai à côté de moi, sans rime et sans musique: alors, ça fait quoi de se balader à New-York quand on est rappeur, c’est un peu la Mecque du Hip-hop non?
Faf la Rage: Ouais carrément, s’il n’y avait pas eu New-York, on ne serait pas là aujourd’hui, on ne ferait pas cette musique là, le paysage musical mondial serait différent. C’est une source d’inspiration plus forte qu’ailleurs.
Akhenaton: Et puis esthétiquement parlant, la ville respire le rap. Il y a eu un été en 2009, où je suis parti là-bas et il y avait de la club-music de partout, c’était l’enfer, j’étais effondré. Mais quand j’y suis retourné en Décembre dernier, j’entendais du gros beat hip-hop à travers les vitres des bagnoles et des magasins et je me suis dit: ouf! l’honneur est sauf! J’ai cru qu’à un moment, ça devenait Ibiza! (rires). Plus sérieusement, la ville ressemble énormément à sa musique, le rap est né dans cette île. Récemment, je regardais un clip de Curren$y (rappeur de la nouvelle Orléans), et il y avait New-York en fond derrière lui. C’est à dire que même pour des rappeurs qui viennent d’ailleurs aux USA, cette ville reste une référence.
Faf la Rage: C’est limite un passage obligé pour des rappeurs qui viennent d’autre ville, pour gagner en crédibilité.
Akhenaton: D’ailleurs, il se passe quelque chose de parfaitement étrange, tu peux le noter, c’est que des gros vendeurs d’Atlanta, de Miami ou de la West Coast arrivent à faire des featurings avec des mecs de New-york qui vendent peu mais qui aiment leur travail. L’inverse ne se produira jamais. Jamais tu ne verras un « top saler » new-yorkais inviter un rappeur d’ailleurs qui ne vend pas beaucoup. Tout ça pour dire que New-york reste quand même un gros phare.
Outre le fait de nous faire aimer l’underground New-yorkais, vous nous faites comprendre une chose à travers un de vos titres: le sens du mot flow. Alors le flow, après toutes ces années, c’est un truc que vous travaillez encore régulièrement? Un peu à l’image du guitariste qui fait des gammes?
Faf la Rage: Ouais comme un musicien. A un moment donné, quand tu t’arrêtes, tu perds un peu, il faut se remettre dedans, se ré-entrainer comme un sportif. C’est de la performance. Quand tu es rappeur, tu penses flow, tu penses rythmique.
Akhenaton: Je dirais plutôt comme un percussionniste. J’ai pas mal d’amis qui le sont, c’est les mêmes découpes. Le rap, c’est une percussion avec des mots, peut-être même la percussion la plus complexe. Et puis comme le dit Faf, le flow et la rythmique sont liés.
Aussi bien vous Faf que vous Akh, vous avez toujours été associés au rap conscient, par opposition au bling-bling. Le bling-bling aujourd’hui, c’est cela qui marche, et pourtant ça sonne creux. On a comme l’impression que le rap a besoin de revenir dans l’underground pour regagner en consistance. Vous en pensez quoi?
Akhenaton: Du fait que la société sonne assez creux et que la télé sonne assez creux, le hip-hop ressemble à la société. On ne s’ulcère pas à cause de ça, nous on fait notre musique et je ne vais pas te mentir mais derrière nous, il y a quand même des gens qui suivent, il y a toujours une contre-culture, un contre poids. Je pense que c’est une question de temps; tu sais quelque chose qui peut paraître en marge aujourd’hui deviendra peut-être mainstream dans sept ou huit ans. L’essentiel pour nous, c’est de se concentrer sur ce que l’on fait, ne pas se trahir, ne jamais perdre sa foi et surtout ne pas se demander « mais qu’est-ce que les gens veulent »? Car ça, selon moi, c’est la fin des haricots.
Retourner dans les choses anciennes, à travers ces artistes que vous citez dans l’album (Rakim, Nas, KRS-One…), est-ce que ça peut aider le hip-hop à retrouver un second souffle?
Faf la Rage: En fait ce qui se passe, c’est que des mecs comme Rakim ont bel et bien leur relève en 2011. A New-York, il y a énormément de MC qui assurent, qui arrivent avec des flows de malade, des instru qui défoncent, et le rap new-yorkais basique existe toujours. Il a évolué mais ce genre d’artistes se montre à la hauteur des anciens, sans pour autant vivre dans le passé. Alors ce rap vend moins aujourd’hui mais il reste présent. Tous les jours sortent des maxis, des tueries et à chaque fois qu’on les écoute on est encore sur le cul (rires). Donc il y a la matière, mais nous somme dans une ère où les gens ont peut-être plus envie de clubbing. Du fait de la crise mondiale, les gens ont moins le moral et voient dans le dancefloor une manière se s’amuser, de se lâcher et de briller. C’est pour ça que la musique de club marche beaucoup et le rap new-yorkais a du faire face à ça. Mais heureusement, malgré la force du courant, ils arrivent à cohabiter.
Là, je suis en présence de deux marseillais. Si l’on compare le rap de Marseille au rap parisien, on sent une force tranquille chez vous les sudistes. Pourquoi? Vous lisez l’avenir dans le Pastis?
Faf la Rage: Non non il y a des mecs à Marseille qui sont aussi très énervés. Enfin tu vois, je pense que c’est propre à nous, notre personnalité. Après, même s’il y a des rageux autour de nous, il se trouve que notre rap a été diffusé et on retient ça. Mais il n’y a pas de secret en rapport avec le sud, du moins je ne pense pas.
Akhenaton: On lit l’avenir dans le pastis! (rires). On vit toujours dans l’ironie, jamais dans le frontal. Ce que dit Faf, ce n’est pas une particularité de Marseille ou Paris, c’est vraiment une histoire de caractère. Tu sais je me suis rendu compte au fil des interviews ou en parlant avec des gamins, que la mode était de parler des « illuminati » et de dire qu’Akhenaton ou Faf la Rage étaient avec les francs-maçons, ce genre de bêtises… Les mecs nous démontent et trouvent des arguments de fou. Je me suis dit wouaw! J’aurais d’ailleurs du prendre une caméra car ici (bar des artistes) au Chant du gros, on est entouré de pyramides et d’oeils! Il y a quelque chose de mystique dans ce festival! (rires). J’allais dire qu’il y a deux organes majeurs dans la détection des illuminati: c’est l’oeil et le trou du c..! (rires).
Le fait que le rap français ne soit pas trop récompensé, Vous le vivez comment? C’est quand même un courant soutenu par des millions de gens, une vraie voix populaire…
Akhenaton: Même si nous ne sommes pas toujours d’accord avec d’autres formes de rap, artistiquement parlant, je trouve que la frustration qui se développe est légitime. Il y a par exemple des gens comme Soprano qui vend énormément de disques et qui ne sont même pas invité une seule fois au grand journal (Canal +). C’est scandaleux.
On dirait que la France a honte de ça, de reconnaître cette réelle valeur…
Akhenaton: C’est pire que ça. La France a honte du rap et de tout ce qui va avec.
Faf la Rage: C’est pas tellement la honte, c’est la peur. La France a peur de se laisser déborder par le rap et son public. Quand tu vas sur un plateau télé, tu sens de suite que tout le monde est sur le qui-vive. Et quand s’est terminé, tu sens un gros soulagement. Mais même quand tu commences à bosser, faire le soundcheck et que tu fait des choses pros et carrées, tu sens l’étonnement des gens. Alors que ouais, ça fait un peu vingt ans que je fais ça. Après les gars se lâchent avec toi parce que les chanteurs de variété à gros succès ne sont pas forcément aussi pro. Ils sont même surpris que l’on rentre sur les plateaux et que l’on dise bonjour. Le rap souffre de trop d’à priori, le problème est là. Le rap reste méconnu par toute une phalange de génération car les mass médias ne jouent pas le jeu.
Propos recueillis par Gyslain Lancement
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