A l’époque des Last Shadow Puppets (2008), à peu près tout le monde avait fait la même erreur. Une maladresse néanmoins dépourvue de toute fatalité, au final. Créditer majoritairement Alex Turner (son binôme des Arctic Monkeys) du succès de cet album parenthèse aussi riche que surprenant frisait le déloyal à plein nez. La boulette digérée et une séparation de son autre groupe (les Rascals) plus tard, Miles Kane va prouver au public que dans un monde où tout s’accélère, il est souvent indispensable d’accrocher le train du flashback musical pour pondre un bon disque. Innocente jeunesse, culot printanier rôdé sur les classiques du rock british, l’intéressé vient d’avoir 25 ans. A vrai dire, Miles Kane a trouvé le bon moment et le bon endroit pour percer, comme touché par la grâce « Liverpuldienne », bénédiction qui effleura jadis la fibre artistique de la ville des Reds, berceau de la « Beatles mania », depuis devenu le fief du rock anglais. C’est sur, tout dans ce disque est pompé aux glorieuses 60’s. C’est sur, The Coral a fait bien mieux il y a pas si longtemps en rasant à tort les murs des mass média. Question de tempérament. Prenons le problème à l’envers, disons que l’héritage a fonctionné, que l’insouciance créative d’il y a quarante ans s’est propagé, mieux il a encouragé la psychanalyse musicale d’un ex-Rascal. C’est de bonne guerre.
Miles Kane file un coup de vieux à ceux qui ne voient en lui qu’un copieur. L’exigence mélodique de Scott Walker, la classe de Paul Mac Cartney et l’harmonie sentimentale de John Lennon sont l’essence même de ce « Colour of the trap ». Quand l’un ne donne plus vraiment de signe de vie musicale depuis les 70’s, les autres sont devenues des milliardaires à titre (presque) posthume et ont… vieilli; bref, pas réjouissant pour un sou. Sans manquer de respect à quiconque, le sang neuf s’impose comme une évidence. Les premières notes de « Come closer » ne trompent pas, on est bien à Liverpool. Hymne entêtant, cohérent et chargé d’une ambiance vintage précieuse, ce titre introductif ne tombe pas loin de la démonstration. A défaut de ne rien inventer, Kane vient peut-être de montrer au monde la meilleure façon d’entamer un disque: 2’59 fières et brutales. En mode British soul, comme si la Motown avait un temps migré sur les bords de la Mersey, il enchaîne les combinaisons pop-soul-rock (« Counting down the days »), invitant Noel Gallagher en backing vocal sur « My Fantasy », partageant un bonbon pop acidulé sur le bout de la langue intimidé de Clémence Poésy (« Happenstance »), le tout en rendant un hommage sans gène aux orchestrations majestueuses des 60’s qui guident cet album de bout en bout (« Quicksand », « Kingcrawler », « Telepathy »). Toute proportion gardée, ce premier disque solo est doté d’une classe rare, domptée et bien calculée; Miles Kane ne paraît jamais submergé par ses influences et laisse une place conséquente à sa propre identité (« Better left invisible », « Rearrange », « Inhaler »), transpirant jusqu’à la fin d’un prestige mélancolique emprunté à Lennon (« Colour of the trap »). On vous le répète, Liverpool rime avec wonderful. Décomplexé et inattendu, mature et sur de lui, Miles Kane vient d’affirmer une chose: le britrock peut compter sur lui.
Disponible en CD et LP: Miles Kane, « The colour of the trap »
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