En théorie, vous auriez du avoir ma première partie de la sélection Noël sur les comics. Vous inquiétez pas vous l’aurez la semaine prochaine (ou peut-être avant sait-on jamais). Mais voilà, un blog c’est aussi l’actualité et le décès de cet illustre personnage qu’est Marcel Gotlib ne pouvait rester impuni.
J’ai exhumé une interview de Gotlib réalisée avec mon amie Virginie pour la revue « Tonnerre de bulles ».
Nous étions aller chez lui pour l’interviewer. Nous y avons découvert une personne simple, humble et d’une gentillesse incroyable.
Quand tu étais enfant, voulais-tu déjà être dessinateur ?
Cela dépend à quel âge. Tout môme, je gribouillais. Tous les enfants dessinent jusqu’à huit ans, puis arrêtent. Moi, j’ai continué.
À l’adolescence, je voulais faire du dessin animé. J’ai découvert Pinocchio de Walt Disney en 1946. J’en suis tombé amoureux, mais à l’époque je ne savais pas à quel point faire un dessin animé était compliqué. J’ai cherché alors dans des directions différentes.
Après quelques années dans un bureau de comptable, je suis parti me présenter chez Winckler, l’éditeur du journal de Mickey, confidences…
Je me suis présenté, car il cherchait des gens pour un journal qu’il voulait créer. J’étais lettreur chez eux. Je prenais des cours de publicité le soir et mon professeur était Pichard.
Ce cursus m’a mis le pied à l’étrier. Après 28 mois de service militaire en Allemagne, j’ai continué dans le studio, dont, au passage, l’ambiance était formidable ! Mais il n’y avait pas beaucoup d’avenir. J’ai donc fait le tour des éditeurs de Paris avec un dossier sous le bras. J’ai décroché quelques petits trucs et je me suis mis à mon compte.
Un beau jour, le frère de Jean Tabary avec qui j’étais ami est venu me voir. Il m’a dit qu’à Vaillant – c’était avant qu’il ne devienne Pif gadget – on cherchait des dessinateurs comiques.
C’était en 1962, l’année où je me suis marié. J’avais laissé un dossier avant de partir en Vacances.
A mon retour, je me suis rappelé que de ce dossier et je suis allé le récupérer. J’ai été accueilli par un type qui me demanda où j’étais passé.. On me cherchait depuis un mois et demi pour m’engager. C’étaient mes premiers pas dans la bande dessinée.
Quand tu étais enfant, tes parents t’ont ils motivé à continuer le dessin ou au contraire t’ont-ils découragé ?
Non. Il n’y a jamais eu de problèmes de ce côté-là. C’est la mythologie traditionnelle. Mon père était mort dans les camps de concentrations, il ne pouvait pas me donner son avis, et ma mère s’en fichait. Elle avait été très traumatisée par cette guerre, et m’a laissé faire ce que je voulais, en confiance.
Seulement, quand j’ai réalisé l’écho des savanes, avec les cochonneries dedans, je lui en ai donné un à lire. Elle l’a lu, a ri, puis m’a dit « Cochon, va ! » (rires)
Dans ta jeunesse, le dessin t’aidait-il à te faire des amis ?
Un peu.
Par exemple, à l’époque des cours complémentaires, lorsqu’on avait des rédactions, je les illustrais. Le dessin me donnait deux points de plus ! Ce qui était profondément injuste pour les autres. Sinon, j’avais acquis une certaine renommée dans la famille et les copains, comme quoi je dessinais vachement bien, mais je ne me faisais aucune illusion.
Ce fut au moment où j’ai été accepté dans la profession que je me suis dit : « C’est fabuleux ».
Dès le début tu voulais raconter des histoires comiques ?
Oui, même en tant que lecteur, j’étais plus attiré par les bandes dessinées comiques, mais cela ne veut pas dire que je n’aimais pas les bandes dessinées réalistes.
Après la guerre, il y avait beaucoup de bandes dessinées américaines qui arrivaient, mais sous forme d’albums reliés : « Robinson », « Hop-là », « le journal de Mickey »… J’étais vraiment fasciné par les grands dessinateurs de l’époque, comme Burne Hogarth, qui faisait Tarzan et que j’ai parodié fréquemment après.
D’ailleurs toutes ces bandes dessinées venaient de chez Winckler, car il était « Opera mundi », le représentant de l’agence américaine « King Feature Syndicate ». Dans les bandes dessinées qui étaient publiées dans France soir, il y avait toujours le copyright « Opera mundi » et je me demandais ce que cela pouvait être…
J’ai appris à aimer la bande dessiné réaliste, mais plus encore comique, dans ces journaux américains, et français comme Vaillant. Pourtant, ils ne rencontraient pas toujours le succès… Certains étaient publiés puis disparaissait au bout de deux ans comme « O.K. ». D’ailleurs, je me souviens que dans ce journal, un dessinateur réalisait une série appellée « Arys Buck ». C’était une bande dessinée comique dans lequel un gars musclé était accompagné d’un petit bonhomme gaulois. Il signait Al Uderzo, en 1947.
J’ai toujours baigné dans la BD. Certains jeunes dessinateurs qui ne lisent plus. C’est dommage.
Une des grandes difficultés dans le dessin est de représenter les pieds et les mains, qui souvent sont cachés de façon plus ou moins habile. Toi, au contraire, et dès tes dessins de jeunesse, comme on peut le voir sur ton site, tu les montres souvent.
J’adorais les dessiner. Je me suis énormément inspiré des dessins réalistes des Tarzans, Mandrake et consorts ainsi que, par la suite, de Franquin. J’ai fait sa connaissance en tant que lecteur de Spirou avec Spirou et Fantasio et Gaston Lagaffe, avant de le rencontrer.
Tout le monde a copié Franquin ou Hergé. Ils représentaient les deux grandes écoles. Pour moi, c’était Franquin. Nous sommes nombreux à avoir commencé en le copiant. Il paraît même que Seron, le dessinateur des « petis hommes », découpait les mains, les pieds, les oreilles dessinés par Franquin, et en faisait des albums pour s’inspirer.
Parle nous un peu de ta rencontre avec Franquin.
C’était fabuleux. Ils avaient fait un concours dans Spirou, « Faites un gaffophone ».
Ils ont reçu tellement de chef d’œuvres qu’ils en ont fait une exposition itinérante.
Quand elle est passée à Paris, Mandryka et moi sommes allés à l’expo et nous avons reconnu Franquin, Delporte et Claire Bretecher, que je ne connaissais pas à l’époque. Nous sommes allés boire un verre tous ensemble. Delporte qui était rédacteur en chef a commencé à nous demander si nous n’avions pas un petit peu de temps pour travailler à Spirou. Mandryka l’a fait mais moi j’avais trop de boulot. Mais nous sommes devenus très copain et encore maintenant, je vais très souvent à Bruxelles.
Après ils ont réalisé le Trombone illustré et nous ont demandé de venir à un bouclage. C’était chouette.
Comment s’est présentée l’occasion de travailler avec lui ?
À l’époque, Franquin était souvent déprimé, et quand ça lui arrivait, il arrêtait de dessiner. Pour une des dernières grandes histoires de Spirou « QRL sur Bretzelburg », il a arrêté au milieu. Quand il a été mieux, il l’a repris.
Bref, quand il arrêtait de bosser, toute la profession lui tombait dessus pour lui demander un dessin, j’ai fait pareil. Il a accepté et il m’a envoyé trois martiens sur un banc. J’étais très content. Il a continué à faire des petits trucs pour Fluide, dont l’histoire du corbeau et du pétomane.
Un jour, il m’a dit qu’il n’allait plus pouvoir travailler pour Fluide, car ils allaient créer le trombone illustré. Ce que faisait Franquin dedans était génial mais les mères de famille écrivaient à l’éditeur pour se plaindre, aussi Dupuis a dû un jour leur demander d’arrêter. Je me suis rué vers Franquin en lui disant que je voulais les idées noires pour Fluide. On les a eues pendant deux ans, deux ans et demi.
D’autres personnes t’ont-elles inspiré ?
Oui, plein et pas forcément dans le domaine de la bande dessinée.
Par exemple Victor Hugo dont on a fait des parodies avec Alexis. On voulait même faire « les misérables » en un seul volume de 40 pages, mais hélas il est mort avant.
As-tu eu aussi été influencé par l’Underground américain ?
Bien sûr, et ça se voit avec l’Écho des Savanes !
Ma boîte, à l’époque, c’était le journal « Pilote ». C’est là que je me sentais bien et où je me suis vraiment épanoui. Un jour, Mandryka, qui était un fan inconditionnel de l’underground américain, dont Crumb évidemment, que je ne connaissais pas à l’époque, mais que j’ai ensuite trouvé formidable, a eu l’idée de créer « l’Écho des Savanes » après une dispute avec Goscinny. Il est venu me trouver avec Claire Brétecher, pour nous demander si cela nous amuserait de participer à l’aventure. J’ai été intéressé, car je me disais que cela allait faire rire deux, trois copains, peut-être la famille…
Je me suis rendu compte après coup que je me trompais, ce que je pensais un petit amusement passager fut une révolution dans la bande dessinée, et un tournant dans ma vie.
S’il n’y avait pas eu Mandryka, j’aurais peut-être travaillé encore longtemps à Pilote, mais par une série de circonstances, je l’ai quitté, petit à petit. Ce fut une période difficile pour moi car j’aimais beaucoup Goscinny.
Tu dis souvent que l’écho des savanes était un exutoire.
Au début, c’était juste pour m’amuser. À cette période, j’en avais un peu marre. Cela faisait quatre ans et demi que je dessinais la Rubrique à brac et j’étais un peu fatigué parce que j’avais l’impression de tourner en rond. C’était qui était stupide, puisque je n’avais pas de héros, mais il fallait que je passe un autre niveau. Seulement, je ne savais pas comment m’y prendre. À l’époque, j’ai presque fait un genre de dépression. J’ai vu un psychanalyste, et j’ai participé à l’Écho des Savanes. Je me suis rendu compte que l’Écho des savanes était un genre de sas pour passer à autre chose.
L’autre fut « Fluide glacial ». J’ai réalisé que ce n’était pas vraiment de la rubrique à bac dont j’étais las, mais de la bande dessinée en général. Voilà pourquoi je me suis lancé à faire un journal tout seul. Fluide Glacial a vu le jour en 1975.
Peux-tu nous raconter ta rencontre avec Goscinny ?
Je travaillais déjà chez Vaillant en 1962. J’y avais appris les bases de la bande dessinée : comment caser les ballons, comment faire le décor… D’ailleurs c’est là que j’ai appris que je détestais faire les décors et j’ai décidé d’arrêter d’en faire dès que j’ai pu me servir en scénario.
Au bout de trois ans, le phare de la profession c’était « pilote ». Tous les dessinateurs rêvaient d’y travailler, moi y compris. Un jour, j’ai dessiné une histoire pour eux. Toutes les semaines ils publiaient une histoire complète en six pages, en plus des histoires à suivre. J’ai donc réalisé une BD en 6 pages, juste la montrer, sans aucune idée d’être publié.
Au début, j’avais peur et je n’osais pas téléphoner (j’appelais mais raccrochais tout de suite) puis finalement j’ai réussis à prendre rendez vous à Pilote, qui se situait à l’époque à Paris, rue du Louvre. J’avais rendez-vous avec les deux rédacteurs en chef : Charlier et Goscinny.
C’est Jean-Michel Charlier qui m’a reçu. Il s’occupait davantage du réalisme (Blueberry, Barbe Noire…) et Goscinny n’était pas dans le bureau. Après la lecture de mon histoire, il a eu une réaction très banale, ni chaude ni froide, et à ce moment Goscinny est rentré. Il lui a tendu mes planches en disant « Tiens René, lis ça ! »
Goscinny l’a lu et m’a dit « la suite c’est pour quand ? »
C’était quelle histoire ?
Justement, c’était une coïncidence. Ils étaient en train de préparer un « spécial Bande dessinée ».
Pas seulement en publiant des BD, mais aussi en expliquant les aspects techniques. Il y avait des parodies de leurs propres bande dessinées. C’est ce qui m’attirait chez eux, leur esprit très américain – Goscinny avait travaillé aux États Unis auparavant. Le journal était bouclé mais il manquait les six pages du milieu. J’avais réalisé une histoire qui dans mon esprit était impubliable, invendable. Elle avait pour titre « Le gag » et elle est parue dans « les inédits » à la première page. C’est l’histoire du dessinateur à qui on commande une histoire. J’’y ai mis tous les clichés qui nous viennent quand on pense à la bande dessinée. Et cela collait avec le sujet.
Quand je suis sorti du bureau, j’étais aux anges.
J’ai un peu continué à travailler chez Vaillant, en parallèle à Pilote, quelques années. Je me suis fait un peu aider pour Vaillant – à l’époque je réalisais déjà Gai-luron. Après, j’ai arrêté définitivement pour rester à Pilote.
Comment est né Gai-Luron ?
Au départ, Vaillant m’avait demandé une série dont les personnages seraient un petit renard et un petit enfant. Je ne comprenais pas bien pourquoi ils voulaient un renard, ils en avait déjà un avec Muzo (de Placide et Muzo). J’ai tout de même commencé à faire un renard qui s’appelait Jujube et au sein de cette série est apparu un chien qui ressemblait beaucoup à Droopy. Petit à petit, il a pris le pas sur tous les autres personnages pour rester seul à la fin.
Cela s’appelait « Gai-luron ou la joie de vivre ».
C’était un des premiers personnages que je « manipulais » bien, car il me correspondait, on y voit bien l’influence de Tex Avery. C’était un peu avant que je bosse chez Pilote.
Quand j’ai commencé Pilote, il a explosé là-bas et puis Goscinny m’a proposé une série avec lui : « Les Dingodossiers ». Une série qui a duré deux et demi.
Et l’idée de la petite coccinelle, elle vient d’où ?
C’est plus tard. Il y avait déjà, dans « Gai-Luron », une annonce de la petite coccinelle mais elle avait les traits d’une souris. Elle était toujours dans un coin.
Pour en revenir à ta carrière…
Nous avons fait les « Dingodossiers », avec Goscinny au scénario, mais « Astérix » aussi a explosé et Goscinny était surchargé de boulot. Il faisait beaucoup de scénarios à l’époque et a été obligé d’élaguer ses collaborations. Il n’a gardé que ses trois grandes séries : « Iznogoud », « Lucky Luke » et « Astérix ». Il m’a dit : « Prenez la suite des « Dingodossier » ou racontez les histoires de l’élève Chaprot. Faites ce que vous voulez ! »
Je lui ai dit que j’aimerais faire une bande dessinée sans sujet, un peu comme les Dingodossiers, et je me suis lancé dans la « Rubrique à Brac », avec la coccinelle qui y est apparue un peu plus tard.
Travailler avec Gosciny, comment cela se passait ? Vous échangiez des idées dans les scénarios ?
Au début, je venais le voir, on passait une à deux heures ensemble. Il notait des sujets comme « la télévision », « le cinéma », « l’école »… Il aimait beaucoup le sujet de l’école (« le petit Nicolas »).
Après il me tapait les scénarios et me les donnait.
Vous n’avez jamais eu d’accrochage ?
J’ai eu un seul problème, pour une couverture qui représentait une plage avec plein de monde. Certains dormaient, d’autres jouaient et il y avait un type avec un grand sourire, qui était dans l’eau avec plein de bulles autour de lui.
Il me demande ce qu’il fait, pourquoi il sourit… Alors je lui réponds qu’il est en train d’uriner dans la mer. Il m’a dit « Tu dois effacer cela ». Mais c’était rien (sourire).
Avec Alexis, tu as fais Super Dupont.
Un jour je cherchais un sujet pour Bougret et Charol, les deux flics de la Rubrique à Brac, qui nous représentaient, JB et moi. Nous avions d’ailleurs posé pour une couverture photos. Donc je réfléchissais à un sujet. Quand l’aventure d’un Bougret et Charol était plus longue (cinq pages par exemple), je faisais une séquence pré-générique avant de faire apparaître le titre. J’aimais bien les séquences pré-générique, comme au cinéma. J’en ai donc inventé une.
Le commissaire Bougret est sur le toit et plonge pour sauver Charol. Il est habillé en caleçons long et d’un maillot de corps. Puis je me suis dit « Et si je rajoutais un bonnet ? » L’idée de « Super Dupont » était là. J’ai décidé de retirer la séquence de Bougret et Charol pour l’exploiter ailleurs, sous forme de petites histoires dans la Rubrique à Brac. J’étais très content de moi, et j’ai fait part de ma découverte à Mandryka, qui à l’époque venait souvent à la maison. Il m’a répondu « C’est bien, mais il y a Lob qui est en train de travailler sur la même chose. » Quand on apprend un truc comme ça, le corps se vide de son sang (rires). Soit on se suicide, soit on voit avec l’autre personne. J’ai choisi la deuxième option. J’ai décroché le téléphone pour appeler Lob et lui demander s’il était en train de travailler sur un super héros français avec un maillot de corps et une cocarde. Il m’a dit oui, et à part quelques petits détails on avait eu la même idée (y compris le nom).
Comme on s’entendait très bien, Lob m’a dit « Je scénarise et toi, tu dessines ».
Le premier Super Dupont est paru dans Pilote. Ensuite, nous l’avons gardé sous le coude jusqu’en en 1976. Avec Lob, nous regrettions de ne pas l’utiliser davantage. Nous avons demandé à Alexis de le dessiner et il l’a fait magnifiquement. Après, quand il est mort, nous avons eu du mal à trouver un remplaçant.
Neal Adams a aussi réalisé un épisode. Lob allait souvent aux états unis et connaissait tout le monde là-bas. Il a demandé à Neal Adams de dessiner un épisode sur mesure, qui s’appelle « les vignes du président ». C’était avec Ronald Reagan en président. Il demande à Superman de régler son problème de vignes et vu que celui-ci n’y connaît rien, il demande de l’aide à son collègue français. C’était superbement dessiné.
Comment s’est passé le retour de Super Dupont ?
Fred touron, qui a de très bonnes idées, travaillait il y a trois ans sur un hors série de Fluide. Il a pensé à une histoire qui semblait aller à Super Dupont. Il a appelé le responsable des hors séries qui se nommait Bruno Léandri et lui a demandé ce qu’il en pensait. Celui-ci a dit qu’il suffisait de demander à Gotlib. On m’a envoyé le synopsis que j’ai lu. Je voyais bien le moyen de l’étoffer quelques gags et peut-être même faire encore plus burlesque du temps de Lob et moi.
Bien sûr, nous l’avons refait dessiner par Solé. Voilà comment s’est reparti et cela dure maintenant deux-trois ans déjà. Solé y travaille beaucoup.
Comment est né le personnage d’Hamster Jovial ?
C’est le rédacteur de Rock’n’Folk, Philippe Koechlin, qui m’a téléphoné pour me demander de faire une page dans son magazine. Je me suis trouvé devant un dilemme parce qu’il fallait quand même être spécialisé dans la musique pour faire cela. En partant du principe que je devais en parler tout en n’y connaissant rien, j’ai trouvé Hamster Jovial. Un type qui parle de la musique mais qui n’y connaît rien. Cela n’a pas duré longtemps.
Tu as fait d’autres choses pour eux ?
Oui, j’ai réalisé 6 pages sur un spectacle de Jérôme Savary « de Moïse à Mao ».
Il s’occupait du théâtre national de Paris. Plus tard, il a même adapté « Super Dupont ». Il m’avait demandé de collaborer au spectacle « de Moïse à Mao », pour le dernier opus de sa trilogie. Il m’a envoyé un télégramme me demandant de venir à Strasbourg pour voir ce qu’on pourrait faire ensemble.
Je m’y suis rendu, mais le spectacle était quasiment fini.
C’était difficile de glisser des gags là-dedans, car étant donné qu’il y avait une quinzaine de personnes pour une cinquantaine de rôles, tout était réglé avec la précision d’un mécanisme d’horlogerie. Il a fait jouer le spectacle devant moi et m’a demandé d’essayer de mettre des gags. J’en ai fait mais il n’a pas réussi à les caser par contre j’étais tellement enthousiasmé par le spectacle que j’ai demandé à Koechlin si je pouvais dessiner 6 pages dessus.
Il m’a répondu « C’est pas possible, car on boucle le numéros maintenant, il faudrait qu’on les ait dans deux jours et les amener à l’imprimerie ». J’ai dit « Banco »et j’ai travaillé la nuit. C’est la seule fois de ma vie que j’ai travaillé la nuit.
Quand j’ai raconté à des copains que je me mettais à mon compte, il me disait : tu n’as pas fini de passer des nuits à bosser. J’ai jamais travaillé les nuits sauf cette fois-là.
Quelles étaient pour toi les qualités d’un dessinateur, pour que tu le prennes dans ton journal ?
Ce n’étaient ni des qualités ni des défauts. C’était un choix subjectif. Même si c’était convenable, publiable. Je ne le prenais pas. À l’époque il y avait beaucoup de journaux, il fallait rester très strict sur la ligne éditoriale pour que les lecteurs savent quel journal ils lisent.
Je pense que je n’ai pas eu tort puisque c’est le seul journal qui reste maintenant.
Mes choix étaient donc très subjectifs. Je devais être accroché par le dessin, le graphisme. Si le graphisme m’intéressait, je lisais l’histoire. Sinon, je ne le regardais pas. C’était peut-être un peu primaire pour faire des choix.
Cela est-il arrivé que tu prennes un dessinateur, après plusieurs tentatives infructueuses de sa part ?
Oui mais c’était rare. Je me demande si Larcenet n’est pas venu une ou deux fois. Mais ce n’était déjà plus nous puisqu’on avait vendu Fluide Glacial fin 1989. Il y avait un autre rédacteur en chef mais on était là quand même.
Par contre, il m’arrivait de contacter des dessinateurs comme Goosens et Binet pour qu’ils travaillent dans Fluide.
Binet, je l’avais découvert dans un petit journal et Goossens, j’avais lu une ou deux pages qu’il avait dessinées dans Pilote. Je leur avais écrit et Gossens est venu au bureau avec une énorme pile de pages qui avaient été refusées un peu partout, dont « le messie est revenu », qui fut son premier album.
Mais la plupart du temps, je ne recevais pas les dessinateurs. J’avais horreur de ça. Je ne savais pas comment m’y prendre.
Dans quelles mesures le cinéma et la BD sont-ils articulés pour toi ?
J’adore le cinéma. Certains films m’ont terriblement marqué. Et j’aimais bien y faire des clins d’œils, surtout dans la rubrique à brac. J’ai un gros faible pour Orson Welles. J’ai aussi réalisé une histoire de deux pages sur la « Décade prodigieuse » de Chabrol. Il avait un problème de nez et il se mettait des faux nez dans pratiquement tous ses films (sauf dans Citizen Kane). Dans la « Décade prodigieuse », il avait un faux nez qui se voyait. J’ai donc joué dessus. (rires)
Mon souci était que je n’étais pas fort en caricature. J’étais souvent bloqué à ce niveau, mais si j’avais su, comme Maëster par exmple, j’aurais collé de vedettes dans toutes mes Rubriques à brac !
Cette envie de caricature a été alimentée par ma découverte de « Mad magazine », en revenant de l’armée dans les ateliers Winckler. Ce fut mon deuxième coup de bâton après Franquin. J’ai eu l’occasion de faire la connaissance du créateur, Kurtzman, qui venait en France. Après, Kurtzman a quitté Mad pour faire ce chef d’œuvre qu’est « Little anny fanny ». Il y a eu un nouveau dessinateur qui s’appelait Mort Drucker. Il faisait les parodies de film avec des scénarios d’autres personnes et ces dessins étaient époustouflants.
J’aurais adoré pouvoir faire ça. Je détournais le problème. Dans la décade prodigieuse, il y avait Michel Piccoli. J’ai essayé de le dessiner mais c’était une catastrophe. J’ai mis une étiquette comme celle des écoliers et j’y ai inscrit « Michel Piccoli ».J’ai quand même réussi Claude Chabrol.
Sur ton site, tu dis que tu n’aimes pas faire la couleur ?
Je la sens pas. J’ai fait quelques couvertures à la gouache mais c’était laborieux. Quand j’ai eu beaucoup de boulot, je demandais à une personne de me colorier ce qui devait être en couleurs.
Solé m’a mis énormément de travaux en couleurs par exemple. Moebius avait coloriés la couverture d’Hamster jovial.
Maintenant les jeunes peuvent colorier par ordinateur mais je trouve cela moins bien. Souvent c’est trop foncé ou alors c’est à l’imprimerie. J’aime le côté artisanal.
Es tu à l’origine de la Rubrique à cadabra, un livre hommage à la Rubrique à brac ?
Non. C’était une idée éditoriale de marketing.
Quels conseils donneraient tu à un jeune qui débute dans la bande dessinée ?
J’ai pas de conseils à leur donner, c’est plutôt à eux de m’en donner (rires). La profession a tellement évolué. Larcenet, Sfaar, Bluch ont pris un chemin, dû à la conjoncture et au fait qu’il n’y a plus de journaux de prépublications, leur faisant acquérir un style graphique pour aller plus vite et donner la priorité à l’idée, au scénario.
Le problème, c’est que les libraires croulent sous les albums. Avec les journaux, au moins on touchait des piges même si on ne réalisait pas d’albums.
Au cours de ta carrière, quel aura été ton plus grand défi ?
Probablement des trucs dont je ne me rendais pas compte sur le moment comme « l’Écho des Savanes ».
Quand Goscinny a vu le numéro 2 de l’Écho des savanes avec l’histoire « au petit bois charmant », il a dit « Gotlib est en train de ruiner sa carrière » (rires).
Je ne me rendais compte de rien. J’étais bien à Pilote et je m’amusais à faire des cochonneries ailleurs.
Et bien sûr « Fluide Glacial »!
J’avais demandé à l’école de s’occuper de l’administration et de la gestion pour Fluide. D’un autre côté, qu’est ce qui n’est pas un défi dans la vie ?
Et ta plus grande joie ?
Professionnellement, ma rencontre avec Goscinny, Kurtzman et Franquin. Au niveau du privé, la naissance de ma fille et de ma petite fille.
Penses-tu qu’avec Internet, les blogs les jeunes dessinateurs qui publient dessus ne remplace pas les journaux de prépublications, du moins pour intéresser les éditeurs ?
Oui mais c’est tellement riche. Le type qui fait un blog, il faut tomber dessus pour le remarquer.
Moi, on me les indique.
La bande dessinée a eu un impact sur ta vie familiale ?
Oui. Surtout par un manque terrible de ma présence bien que j’étais dans la pièce à côté.
Quand ma fille est née, c’était un moment de joie intense puis je me suis remis à travailler et un jour je me suis aperçu qu’elle avait 18 ans.
Un moment j’abattais beaucoup de boulot, non pour gagner plus mais juste que j’aimais cela. En même temps j’étais la maison.
Si tu étais un personnage de bande dessinée ?
Ce serait peut-être Gaston. J’ai arrêté de fumer quasiment en même temps que lui. Franquin, lui avait retiré la cigarette quand lui-même avait arrêté de fumer.Quels conseils donneraient tu à un jeune qui débute dans la bande dessinée ?
J’ai pas de conseils à leur donner, c’est plutôt à eux de m’en donner (rires). La profession a tellement évolué. Larcenet, Sfaar, Bluch ont pris un chemin, dû à la conjoncture et au fait qu’il n’y a plus de journaux de prépublications, leur faisant acquérir un style graphique pour aller plus vite et donner la priorité à l’idée, au scénario.
Le problème, c’est que les libraires croulent sous les albums. Avec les journaux, au moins on touchait des piges même si on ne réalisait pas d’albums.
Voilà, cette interview avait été réalisée en 2009. Voici des Petites suggestions sur les incontournables de grand monsieur. Et puis si un jour, il pleut des pommes, on sera qui est le responsable en haut…
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