Dernier évènement de la planète BD : la sortie du nouveau Margaux Motin. Après J’aurais adoré être ethnologue et La théorie de la contorsion, elle continue dans les titres drôlement sérieux et nous offre La tectonique des plaques, un album plein d’humour (et pas que féminin), de poésie et de beauté graphique.
Rare survivante du phénomène BD « humour de femmes », Motin partageait il y a encore quelques temps le trône avec Pénélope Bagieu, Hélène Brüller et Diglee. Mais là où la première s’est enfin trouvée un scénariste pour progresser (La page blanche, avec Boulet), où la deuxième s’est mise à copier Voutch et à rater son coup (Il faut qu’on parle), où la troisième s’est enfoncée encore un peu dans le gnangnantisme post-adolescent (Confessions d’une glitter addict), Margaux Motin a elle réussi à évoluer et à affiner son style en seulement trois albums bien pensés (on ne comptera pas ici Very Bad Twinz qu’elle avait seulement dessiné sur un scénario de Paco).
La tectonique des plaques s’ouvre sur une séquence tout simplement ébouriffante. En quatorze pages, Margaux Motin résume émotionnellement son année 2010 : l’opération de son père, l’arrivée de sa fille, ses hauts et tout ses bas… Techniquement, elle utilise plusieurs idées narratives et un découpage sans fioritures pour aller à l’essentiel et donner immédiatement le ton de cet album. Et l’effet est plus qu’efficace, puisqu’on est directement souffler par cette maîtrise de la page et de la mise en abîme de soi. Le reste des 192 pages se partage entre épisodes purement humoristiques, réflexions maternelles et féminines et moments de grâce graphique. Être mère, survire à une rupture, vaincre ses peurs, s’amuser avec ses amies, profiter de la vie : les thèmes abordés sont vastes et touchent souvent à un existentialisme naturel et rafraîchissant.
On sent ainsi clairement que ce nouveau livre est celui de la maturité. A noter qu’il aura fallu trois ans pour qu’il voie enfin le jour, comparé à l’unique année qui séparait les deux précédents. Margaux Motin devient donc de plus en plus adulte, tout en gardant son côté espiègle. Plusieurs scènes sont reprises de photos sur lesquelles elle ajoute son personnage en dessin, souvent accompagné d’un dicton ou d’un poème. Grande admiratrice de Paul Éluard, elle utilise deux de ses poèmes. D’autres références aussi variées les unes que les autres y abondent également : Being Human, Hemingway, Le Guin, Lennon, Rage against the machine et bien-sûr Disney !
Les moments suspendus, magie du repos de l’âme, ne sont pas non plus en reste. Symbolisé par un ballon de rugby, Margaux porte son amour à bout bras, en évitant les placages des ses peurs relationnelles passées. L’acceptation d’une rupture décrite sans paroles, mais simplement en plusieurs étapes quotidiennes qui finissent par la faire regarder par la fenêtre et réaliser qu’avec le temps va, tout s’en va. Une collection de polaroïds estivaux où Margaux s’immisce dans un verre de cocktail, sur une plage ou sur un muret immergé dans une lumière solaire divine. Tous ces instants magiques nous emportent et mettent à l’honneur le graphisme de Motin, ces couleurs flashy et nuancées, son trait affiné qui s’est magnifiquement développé au cours des années et encore une fois son sens de l’art séquentiel lui-même.
La sortie du nouveau Margaux Motin n’est pas qu’une hype passagère, mais la confirmation d’une auteure douée et sur qui il va falloir désormais compter, et ce pour encore plusieurs décennies, on l’espère.
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